Emergence

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Ce soir-là, je pensais que j'étais mort. Ou du moins que j'allais mourir, incessamment sous peu.

C'était il y a un an.

J'avais du mal avec moi-même. C'est toujours un peu le cas. Mais l'intensité de la souffrance - je veux dire celle à l'état brut qui n'est pas analysée ni comprise, la matière première de la souffrance pure - à diminuée.

Je croyais sincèrement que rien ne pouvait être pire que mon état à ce moment précis et d'une certaine façon c'était le cas.

Mais en réalité, la construction est bien plus difficile. Il s'agit de comprendre maintenant. D'analyser. De sincèrement désirer sortir du cercle de la douleur, accepter le bonheur et se reconstruire.

Actuellement je ne sais toujours pas qui je suis. Car je ne cesse de me définir comme l'ancien moi, qui est toujours une partie de moi mais au passé.

Je ne désire plus rien ressentir.

L'amour ou l'amitié n'ont plus aucune importance à mes yeux.

Ma vie se centre autour de mon travail, rien d'autre. Je vis seul dans un appartement à Rennes à proximité d'un café dans lequel je suis serveur. C'est un café tout ce qu'il existe de plus banal. Des vieux sièges en faux cuirs usés et sales remplissent la pièce surplombées de tables en bois peintes en noir dont la peinture s'écaille. La clientèle se compose généralement d'anciens de la ville. Des habitués. Ils prennent toujours la même chose, à la même heure, au même endroit. Amassés devant l'unique télé du café, ils se rassemblent autour et commentent à voix haute les événements du quotidien avec un jugement fastidieux et nauséabond.

Au bar le patron des lieux - du même genre qu'eux - participe à cette ridicule routine servant avec sympathie aux clients réguliers et avec nonchalance aux nouveaux. Mais ils étaient rares les nouveaux. Car aucune personne sensée désirant prendre un café ne vient ici. La devanture empeste un comportement fermé d'esprit, les remarques sexistes et désobligeantes sans oublier les phobies en tout genre face à ce qui ne leur ressemble pas.

Mon service se termine en fin d'après-midi. À peine franchis la porte que j'enfile mes écouteurs. Le son au maximum je marche jusqu'au métro. Je ne prête aucune attention face à ce qui se déroule autour de moi. Je marche la tête baissée. Je ne cherche aucun contact visuel ou physique au contraire.

Mon immeuble est tout ce qu'on fait de mieux au XXIème siècle. Haut de douze étages, il agglomère environ quatre-vingt-dix logements sociaux situés en dehors de la ville afin de ne pas impacter l'activité touristique du centre historique. Le hall d'entrée est sombre et morose teinté de couleurs jaunâtres et grisâtres. J'habite au dixième. Je n'ai pas d'ascenseur. Pour être honnête, il y en a un. Mais il est en panne depuis sept mois et nous faisons partie de ces gens trop peu importants pour avoir le droit à une réparation rapide du matériel

Je rentre. Je me fais cuire un de ces repas déjà préparés dont le goût et la textures douteuse on une moindre incidence que son prix ou que ma motivation à me préparer à manger

Je crois que je déteste la nuit. Mais à la fois c'est le moment que je préfère. J'aime le calme qu'elle procure mais aussi le danger qu'elle fait peser sur nous. Elle me fait me rappeler que je suis seul, elle me fait me confronter à moi-même. La nuit c'est comme si tout pouvait arriver. Ça donne aux choses un côté plus secret, plus légitime, plus profond et plus vrai.

J'ai souvent des insomnies. Je n'ai pas forcément d'explication à cela.

Parfois je pense trop. Parfois c'est le vide total.

Le jour me réveille. Je me lève machinalement, enfile des habits, je me brosse les dents et j'enfile mon manteau. Je pars.

J'arrive au travail. Rien n'a changé. Les premiers clients arrivent.

Comme je l'ai dit, je ne cherche pas le contact. Autrui ne m'intéresse pas, ne m'intéresse plus.

La journée se déroule dans l'infinitude du temps terrestre dans lequel j'ai l'impression d'être immobile face à la ville, face aux personnes, face à mon esprit.

Le soleil commence à descendre dans le ciel. Je ferme le café.

Je nettoie les tables. Je passe le balai.

Le ciel est rouge ce soir. C'est la première fois que j'y fais réellement attention. Il se divise en plusieurs nuances de couleurs allant du rouge vif au jaune en passant par l'orange et le mauve. Obnubilé par ce spectacle je reste figé devant celui-ci. Je regarde ma montre, j'ai loupé le métro, le prochain arrive dans 5 minutes. J'ai oublié de mettre mes écouteurs.

La rame de métro est remplie. Les gens s'entassent sur le quai. Je supporte mal la pression. J'entends le métro arriver, il arrivera dans quelques secondes.

Puis je croise son regard. Le temps s'arrête. Je plonge en lui. J'ai le vertige, le même que celui que j'ai pu expérimenter sur la jetée.

On se regarde fixement.

Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va perforer ma poitrine. Tout autour de moi est devenu flou. Des frissons envahissent l'entièreté de mon corps. Je tremble. Je réalise que plus rien n'existe à part ce moment. Les bruits sont sourds et lointains comme si j'avais la tête sous cinquante mètres d'eau. Je me sens rougir. Je détourne le regard. Elle me regarde toujours. Je transpire à outrance. Mes mains sont moites. Ma gorge serrée.

Je ne peux m'empêcher de la regarder.

Je n'ai jamais ressenti ça. Elle le sait. Je ferme les yeux.

Quand je les ouvre, dix secondes plus tard, le son et la vue me sont revenus. Le métro vient de partir. Elle aussi. Et tous les gens autour.

L'embrunWhere stories live. Discover now