2 - La serveuse triste

1.6K 62 2
                                    


FEVRIER 2016


J'ai rapidement fait la connaissance de Julien.  Quand nous nous sommes rencontrés, il avait sorti sa première mixtape A7 sous le nom SCH et travaillait dur sur son premier album. A l'époque, j'écoutais peu de rap mais j'avais déjà entendu parler de lui. Le studio où il enregistrait se trouvait pas très loin du restaurant de Tonton, et lui et ses amis venaient régulièrement boire un café le matin ou manger le midi. Honnêtement, je ne l'ai pas reconnu de suite. J'avais surtout entendu sa musique mais je ne m'étais jamais intéressée à l'artiste derrière. C'est Olivia qui m'a mise au courant.


— Tu vois les mecs assis en terrasse là-bas ? Le mec avec la casquette, c'est SCH ! Il vient souvent ici, ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vu.


Nous étions derrière le bar. Olivia lavait des verres et je les essuyais et les rangeais au fur et à mesure. Nous n'avions pas dû être discrètes car le groupe d'homme se retourna et regarda dans notre direction. J'ai aperçu Olivia rougir. Je la trouvais mignonne d'être gênée, elle qui d'habitude ne se laissait pas facilement impressionner. Julien et ses amis venaient presque tous les jours et avaient leurs petites habitudes. Ils semblaient bien connaître Tonton. Au début, je ne gérais jamais leur table, c'était soit Tonton ou Olivia qui s'en occupait. C'est Ahmed qui m'a parlé en premier. Un matin où j'étais seule au bar, il m'a interpellé:


— T'es nouvelle toi ici ?

— Ouais. Ai-je juste répondu.


Il s'est approché du bar et a continué:


— T'étais où avant ?

— Pas sur Marseille. Je n'avais pas envie d'épiloguer sur ma vie.

— Ah ouais cool. Ça te plait Marseille ?

— Ouais c'est cool.


Les jours qui ont suivi, Ahmed, dit le A, venait toujours me dire bonjour au bar quand il arrivait avec Julien et leurs amis. Comme Tonton, il m'appelait "la petite". Je le trouvais cool. Marseille ça a un peu été un choc culturel pour moi. J'ai grandi en campagne et je n'avais jamais trop été confrontée à la vie ultra urbaine des banlieues. Il y avait des codes que je ne connaissais pas et j'avais surtout en tête des stéréotypes et des idées reçues. Rapidement, ma rencontre avec Ahmed, puis Julien et leurs amis ont déconstruit toutes ses fausses idées. Mais au début, je dois l'avouer, je n'étais pas forcément à l'aise.


Julien ne m'a pas vraiment calculée au début. Quand il arrivait au restaurant, il disait bonjour à Tonton, saluait de loin Olivia et s'installait à sa table. Lui et ses amis restaient parfois des heures attablés le midi. Puis ils repartaient pour le studio. Julien m'avoua bien plus tard qu'il avait bien remarqué que j'étais là mais qu'il me trouvait, je cite, bizarre. Bizarre parce que j'avais tout le temps l'air triste et que je donnais l'impression de ne pas vraiment être là. Déjà à cette époque, il m'avait bien cernée. J'étais triste sans aucun doute. Ma nouvelle vie me plaisait, travailler avec Tonton et Olivia aussi mais au fond de mon cœur, j'étais indéniablement triste. J'étais triste de vivre. Je vivais un peu comme un robot, sans réfléchir à la suite. Mon avenir me traumatisait, rien que l'idée d'avancer sans lui me donnait envie d'éclater en sanglots. Alors je survivais et prenais chaque jour un par un sans penser au suivant. 

ScélératWhere stories live. Discover now