2.1 - Justice

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Quelques jours après la mort de mon frère, j'avais jeté ma tunique souillée de sang sans chercher à la nettoyer - j'étais incapable de toucher, d'approcher, de regarder ces taches. Puis j'en avais acheté une autre - plus longue, d'une teinte plus foncée, coupée trop large pour ma carrure fine - et j'étais allée au palais de justice.

Bien sûr, ce n'était pas réellement un palais. L'appellation venait de Jennellise, la reine des cités : dans le passé, la justice était rendue par les rois-sorciers au cœur même de leur palais plaqué de marbre bleu et d'or Parlé. Le royaume jennellisien était tombé deux siècles auparavant, mais le nom était resté.

L'architecture était pensée pour impressionner les requérants. Des colonnes blanchies couraient le long de la coursive extérieure, et il fallait emprunter des marches hautes, pavées d'un marbre rouge et usées en leur milieu par les nombreux passages. Une fresque sombre au-dessus du portique représentait Vogrennon, le dieu jennellisien de la justice et de la guerre, avec son épée à deux mains plantée devant lui.

J'entrai sans une prière, trop impatiente et fébrile.

Une demi-dizaine de bureaux me faisaient face dans un vestibule haut de plafond, et d'autres citoyens ou administrés faisaient la queue pour être reçus

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Une demi-dizaine de bureaux me faisaient face dans un vestibule haut de plafond, et d'autres citoyens ou administrés faisaient la queue pour être reçus. J'attendis mon tour, essayant de maîtriser le tremblement de mes mains tout du long - avais-je bien nettoyé mes ongles, enlevé le sang incrusté ? - et répétant mon discours à part moi : je veux porter plainte : mon frère a été assassiné et le meurtrier s'appelle Yervain du Bureau du Contrôle des Voix et il mérite la mort.

— Suivant ?

Je m'avançai. La fonctionnaire était une femme aux cheveux noirs frisés retenus dans un chignon lâche. Ses ridules d'expression lui donnaient l'air ennuyé.

— C'est pour quoi ? demanda-t-elle.

Plusieurs tablettes de cire s'étalaient devant elle. Avec des gestes rapides et économes, et sans lever la tête, elle en sortit une nouvelle, vierge. Je me raclai la gorge, mes pensées disparues.

— Je... mon frère. C'est... Il a été assassiné.

— Les vigiles ont-ils dressé un rapport ?

— Un... non, je ne crois pas.

Elle redressa la tête, fronçant les sourcils.

— Sans rapport, comment pouvons-nous savoir que votre frère a réellement été assassiné ?

— Je... c'est... c'est évident.

— Si la justice était si évidente que cela, je n'aurais pas de travail. Revenez lorsque vous aurez le rapport des vigiles.

D'un geste, elle m'intima de partir. Pendant quelques instants, je ne réagis pas. Mon frère était mort, convulsant dans son sang, et la femme ne réagissait pas. Elle aurait dû brûler de la même soif de justice que moi, elle aurait dû être horrifiée, elle... Je plaquai mes mains contre le bureau. Le bois verni était froid contre mes paumes moites.

La Voix de la Vengeance [sous contrat éditions Plume Blanche, sortie 2024]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant