Chapitre 1

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Depuis qu’on m’a déclarée morte, pendant quelques minutes, il y a trois ans, je vis un véritable enfer. Toutes mes nuits sont peuplées de terreurs d’une vie qui ne m’appartient pas. Il m’arrive de plus en plus souvent de confondre la réalité de mes cauchemars. Je crois devenir folle. Mes amis proches se sont éloignés et en outre mon petit ami a fini par me fuir. J’ai même quitté mon travail parce que je ne pouvais plus vivre en entendant des rires étouffés dans mon dos.
Étrangement, j’aime la compagnie des fleurs, ce que je détestais auparavant. Je leur parle. Je sais bien qu’elles ne peuvent pas me répondre, mais ces dernières m’écoutent. Elles s'épanouissent et poussent même si la saison ne s’y prête pas. J’ai l’impression de me sentir moins seule dans ces cas-là.

— Comment allez-vous aujourd’hui, Iris ?

Je reprends le contrôle de mon esprit en réalisant que je me retrouve encore une fois dans le cabinet du Dr Frost. Ce n’est pas la première fois que j’ai des séances avec ce dernier. Avant de le trouver, je suis passée par cinq autres psychologues qui me prescrivaient des médicaments contre une déprime. Dépression, mon œil, oui. Inutile de dire que je n’étais plus moi-même. Dr Frost est ma bouée de sauvetage, le seul, à ne pas me croire folle ou du moins ne le montre pas. Lorsque je viens le voir, j’ai un repos de cauchemar pour une nuit. C’est étrange, mais ça me fait du bien.

— Iris, vous ne m’avez toujours pas répondu.
— Pardon. Ça va.
— Vos cauchemars, ce sont toujours les mêmes.
— Toujours.
— Il n’y a aucun détail qui change.
— Si. Parfois, j’ai l’impression que les yeux rouges qui me fixent ne me veulent pas de mal.
— Arrivez-vous à l’apercevoir ?
— Non, il fait toujours aussi sombre. Je sais que je porte toujours cette fameuse robe trop lourde et que je me retrouve dans un sous-sol.
— Un sous-sol ? Qu’est-ce qui vous pousse à y croire ?
— C’est humide, crasseux et il y a des pierres partout.
— Je vois.
— Vous me croyez folle, c’est ça ?
— Iris, je n’ai jamais dit que vous l’étiez.
— Mais comme tous les autres, vous le pensez.
— Je ne suis pas là pour vous juger, mais pour vous aider. Ce que vous avez vécu, il y a trois ans, est un vrai miracle. Vous êtes morte pendant…
— Quelques minutes, le coupé-je, je sais.
— Vous ne devriez pas vous préoccuper de ce que les gens disent ou font dans votre dos.
— Comment faire ?
— Ignorez-les. C’est la plus arme que vous pouvez offrir.
Les ignorer. Je le fais depuis trois ans et ça ne fonctionne pas. Ce conseil ne vaut rien, mais je ne souffle pas un mot. Je hoche la tête, croyant qu’il croira que je le ferai.
— Iris, lors de notre prochaine séance, j’aimerais tenter quelque chose.
— Quoi, donc ?
— De l’hypnose régressive.
— Quoi ? dis-je, surprise.
— C’est encore mitigé dans le domaine, mais certains patients se sentent mieux après.
— Vous croyez vraiment que ça peut m’aider ?
— On ne perd rien.
C’est vrai, je ne perds rien à essayer une nouvelle méthode alternative. J’ai déjà essayé tous les médicaments prescrits par un psychologue ; sans succès. Ça ne devrait pas me faire mal.
— C’est d’accord, je veux bien essayer.
— Parfait ! en regardant son programme. Disons dans deux ou trois semaines.
— Quoi ? Mais c’est trop long. Je croyais que nous allions le faire vendredi.

Il referme son cahier de notes en se grattant la tête, embarrassé. Depuis que ce dernier me soigne, je vais beaucoup mieux. Nos rencontres de deux à trois fois par semaine m’aident énormément. Deux semaines, voir trois me parait tellement long. Vais-je y survivre ?

— Hmm… Il y a une chose que je ne vous ai pas dite, me confesse-t-il. Je dois m’absenter jusqu’à jeudi prochain et je n’aurais pas le temps de faire d’autres consultations avant peut-être la semaine suivante.
— Non, mais pourquoi ? lancé-je, désespérée. Vous ne pouvez pas me faire ça.
— Je suis désolé, Iris. Ma tante est malade, je dois être auprès d’elle.
Sa tante. Malade. C’est la première fois que j’entends parler ou même supposer qu'il est une famille. C’est vrai qu’un psychologue ne parle jamais de son entourage. Je me résigne. Si cette femme est vraiment malade, vaut mieux qu’il soit auprès d’elle.
— Je comprends.
— Je vous appelle dès que je suis disponible.

Je ne suis pas encore sortie de l’immeuble que j’ai l’impression qu’un énorme poids écrase ma poitrine. Comment vais-je survivre pendant tout ce temps ? J’implore l’univers de ne pas me rendre folle avant.
Je sors de l’immeuble, rejoignant tranquillement ma voiture de l’autre côté de la rue. Je m’apprête à monter quand un camion surgi de nulle part klaxonne et manque de me percuter. Je n’ai que le temps de fermer ma portière en planquant mon dos contre cette dernière. Ma respiration se coupe avant de bondir à toute allure. J’ai eu peur. J’ai l’impression que mon cœur va sortir de ma poitrine. À ma droite, une vieille femme accourt vers moi et me demande :

— Tout va bien, mon petit ? Rien de blessé ?
Je reste un moment désorientée. Je ne réagis pas immédiatement. Je sens sa main toucher mon épaule afin que je réagisse. Ma tête se tourne tranquillement vers la vieille femme à la chevelure blanche et aux yeux bleus. Son visage semble inquiet et je ne comprends pas. C’est lorsque j’entends à nouveau le klaxon d’un véhicule que je reprends mes esprits.

— Ça va, je souffle haletante.
— Ce camion a bien failli, vous écraser, mon petit. Vous êtes certaine que ça va aller ?
— Ne vous inquiétez pas.
Elle m’inspecte à nouveau.
— Vous êtes certaine que ça va aller ?
— Oui.

La vieille femme repart donc dans la direction d’où elle était venue et je monte dans mon véhicule. Dès que je me retrouve seule dans ma voiture, j’éclate en sanglots. Des larmes dévalent mes joues. Je réalise que maintenant que j’ai failli passer sous les roues d’un stupide camion. Tremblante, j’insère la clé dans la serrure et la démarre. Je ne sais pas comment je fais pour conduire dans un état comme ça, mais le trajet me semble interminable.

Lorsque j’arrive, je prends une grande respiration avant d’y en sortir. Repensant à mon avant-midi, je réalise que je ne pourrais pas survivre sans Dr Frost. Son absence sera trop longue. Comment allais-je y arriver ?

Je finis tout de même de sortir de ma voiture. Je suis chez moi, dans mon sanctuaire, dans ma maison. Elle ne ressemble à aucune autre de la ville. La mienne est coquette et vieillotte. J’adore sa tourelle sur le côté droit qui perdure jusqu’à l’étage. J’aime m’y asseoir lors de l’hiver afin de regarder les flocons tomber. Son balcon qui fait le tour de la maison et qui rejoint ma verrière est tout à fait sublime. J’aime cette arche d’entrée faite de fleur. Sa cheminée, à l’image des siècles derniers, réchauffe mes nuits. Et ce parquet qui grince lorsqu’on y marche me rappelle des souvenirs qui ne sont pas les miens, mais que j’adore. Bref, pour dire que j’aime ma maison.

Dès que je traverse l’arche florale, je me sens mieux. Le poids qu’oppressait ma poitrine disparait comme par magie. J’entre dans la maison dont l’ambiance est chaleureuse et me dirige vers la cuisine. Comme les fleurs, j’ai besoin d’eau en cas de stress. J’attrape donc un verre dans mon armoire et y coule cet élixir précieux. Lorsque mes lèvres touchent ce liquide transparent, je me sens tout de suite revigorer. L’eau descend tranquillement dans ma gorge, éveillant chaque cellule. Je me sens renaître. C’est fou, mais depuis qu’on m’a ramenée à la vie, l’eau me fait étrangement du bien. Dire qu’avant cet incident, je n’aimais pas l’eau et j’avais une peur bleue de me baigner. Maintenant, je peux plus vivre sans elle. C’est étrange, n’est-ce pas ? Bien sûr, j’ai entendu dire que lorsqu’on revient à la vie, notre personnalité peut changer. Mais ce n’est pas l’impression que j’ai.

Je sursaute soudainement, lorsque le chat noir de ma voisine saute sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, près du lavabo. Ce dernier porte un collier rouge et habituellement, une clochette y est accrochée. Il doit l’avoir perdu en jouant dans le boisé. Minuit miaule en me quémandant une gâterie. Ce n’est pas mon chat, mais il m’arrive de lui acheter quelques minouches. Dès que je suis à la maison, ce chat se pointe et passe ses journées avec moi. Au départ, je le ramenais à ma voisine qui me disait de le laisser faire. Minuit se dit être un félin particulier, je n’y croyais pas et toujours pas aujourd’hui. C’est un chat comme tous les autres, mais avec une personnalité forte étrange.
Je me déplace donc vers mon garde-manger et prends le sac. J’en dépose quelques-uns au sol et ce dernier accourt pour venir les manger. Je le laisse grignoter et monte dans ma chambre. Je m’allonge et peu à peu, mes yeux se ferment. Je vais pouvoir me reposer sans faire de cauchemar, puisque je suis allée consulter aujourd’hui.

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Voilà une aperçu du premier chapitre de ma nouvelle histoire. J'ignore quelle seront les fréquences de publication, je crois que je vais voir ça dans les jours qui s'en viennent.

Bisous.

Pour toujours À jamais - À nos années perdues Where stories live. Discover now