(IN)CONTRÔLABLE

Prologue

Lake

♞

Ils me regardent. Ils me regardent tous. C'est la fin.

Tout s'est passé si vite. Pourquoi fallait-il que ça se passe mal aujourd'hui ? Pourtant tout a été répété. Encore et encore. Des dizaines de fois, parce qu'elle est toujours aussi tatillonne et chiante sur les détails. Tout. Les moindres mouvements, les moindres détails qui font la différence. Tout ce qui peut amener le jury, de près ou de loin, à nous mettre sur la touche ou au contraire nous élever sur le podium.

Le seul paramètre que je n'ai pas pris en compte, c'est moi, ma force, mes bras, mon amplitude. Elle aurait pu tenir. Elle aurait dû se faire acclamer, rentrer avec un trophée et que je la porte sur mes épaules en signe de victoire.

J'ai échoué. Rien de tout ça ne s'est produit. À la place, elle a vu le sable.

Ava-Lee est tombée. La musique s'est arrêtée subitement et les spectateurs ont tous retenu leur souffle pendant que je tentais de la rattraper en sachant que c'était trop tard.

Mon seul réflexe a été d'arrêter le cheval. Rika est la plus docile jument que je n'ai jamais monté. Elle s'est stoppée net avec un simple sifflement quand j'ai compris l'imminence du problème.

Je n'ai pas su faire.

Par ma faute, ma partenaire se retrouve tête contre le sol, inconsciente. Sa tête a claqué fort. Son corps inerte attend les secours et même si des gens me demandent d'agir, j'en suis incapable.

L'équipe de secours arrive avec un brancard. Ils sont trois autour d'elle. Mon cheval gêne le passage. Je dérange aussi. Je ne devrais pas rester là, mais c'est plus fort que moi.

En voyant le désastre, je remarque que sa joue est égratignée. Une coulée de sang tache ses lèvres et son menton. Son costume de scène est poussiéreux tout comme ses cheveux coincés dans son chignon. Ava-Lee n'a pas roulé contre le sable pour amortir le choc, elle s'est laissée tomber parce qu'elle me faisait confiance.

Le hennissement de ma jument ainsi que le déplacement de cette dernière un peu plus loin de la scène me ramènent un peu plus proche de la réalité. Je réalise qu'on nous écarte du tragique accident que j'ai causé. La bride est tirée par Anton, un de mes amis les plus proches. Sauf qu'à cet instant, il ne l'est plus vraiment si il continue dans ce sens.

Je sors de mon mutisme.

— Qu'est-ce que tu fais ? Ramène-moi !

— Ils vont s'occuper d'elle, dit-il avec beaucoup de pragmatisme.

Mes yeux cherchent du regard la silhouette éteinte d'Ava. Il n'y a que des lumières éblouissantes entre quelques gyrophares des secours. Tout le monde accourt pour calmer les gens qui veulent sauter les barrières et aller voir ce qui se passe sur la piste. Son corps, lui, n'est plus là.

Pris de panique, je tire violemment sur les rênes. Anton a failli finir sous les pattes de Rika. Il n'aurait pas dû la tenir par le licol.

— Lake !

Je ne l'écoute pas. Mes pieds foulent la terre battue en sautant de ma monture. Dans mon moment d'égarement, Anton avait réussi à me déplacer assez loin de la piste sablée.

Bien déterminé à voir ce qu'il se passe au centre de l'attroupement, je fais abstraction de la présence de mon ami qui tente de me retenir.

À peine quelques pas effectués qu'il me retient par le bras. Je m'en débarrasse brutalement, mais il revient à la charge aussitôt.