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[6 mois plus tard - ven. 2 sept., 7h07]

Emilie sauta presque dans ses converses sans même prendre le temps d'en faire les lacets, et sorti en courant de sa maison. Elle déplia maladroitement son casque audio, tout en gardant une allure soutenue, car le bus menaçait de partir au lycée sans elle.

Soudain, elle s'arrêta et ouvrit des yeux ronds en réalisant qu'il lui manquait quelque chose de capital. Sans ça, mauvaise journée assurée.

- Merde, merde, merde, marmonna-t-elle.

La jeune fille fit demi-tour et couru à en perdre haleine jusqu'à son domicile, où elle jeta sans aucun scrupule son sac dans l'entrée. Elle se précipita vers sa chambre et manqua de casser les lattes de son lit, en se jetant dessus afin d'attraper les deux livres sur sa table de chevet.

Elle repartit aussitôt, son sac rebondissant sur son ventre à chacune de ses foulées tandis qu'elle essayait d'y rentrer les ouvrages. Elle leva la montre à son poignet et constata qu'elle avait rattrapé le temps. Emilie en profita pour ralentir l'allure et inspirer une grande bouffée d'air.

L'odeur fraîche de la brise matinale caressa ses narines, et ses lèvres s'étirèrent dans un sourire. Le temps était parfait et cette journée s'annonçait formidable.
À un détail près, « cette journée » était le jour de la rentrée. Sa dernière rentrée dans un lycée, qui plus est.

Lorsque le bus arriva, elle chercha immédiatement la place qui serait la sienne pour le reste de l'année, comme de coutume. Ses yeux balayèrent l'intérieur du véhicule, et pour son plus grand bonheur elle trouva la place parfaite.

Emilie s'assit dans le fond, son dos collé à fenêtre et les jambes repliées sur la banquette, s'assurant un confort optimal pour la prochaine heure de trajet. Elle se pencha pour attraper dans son sac un de ses livres : ce dernier était vieux, dans un état que l'on pouvait qualifier de pitoyable, mais elle n'y pouvait rien si depuis des mois, il restait dans son sac dans l'attente d'être relu pour la énième fois.

La vérité était qu'Emilie ne pouvait plus se passer de ce livre. Il y a quelques années, sa professeure de français le lui avait conseillé, lorsqu'elle avait su que son élève prenait des cours de théâtre. La petite fille de l'époque s'était immédiatement éprise de cette histoire d'amour, bien que sa fin la fît pleurer plus d'une fois.

Alors sur ses demandes plus qu'insistantes, la professeure de théâtre Mme. Stephenson céda et pour le plus grand bonheur d'Emilie, Roméo et Juliette fut l'objet du spectacle de fin d'année.

Une opportunité pour la jeune fille qui désirait faire ses preuves en obtenant le premier rôle, celui de Juliette qu'elle admirait tant. Elle avait répété, étudié chaque acte, chaque scène, chaque réplique dans les moindres détails.
L'adolescente connaissait sur le bout des doigts chaque mot prononcé par la jeune femme, savait par cœur les émotions qu'elle ressentait, avait appris à la perfection absolument toutes ses expressions. Dans ces moments, Emilie devenait tout simplement Juliette.

Mme. Stephenson fut attendrie par la performance de la jeune fille lors de ses auditions. Son implication et sa grâce étaient telles que l'institutrice dû se retenir de verser une larme, avant d'applaudir avec enthousiasme la comédienne en herbe.
C'était décidé, Emilie serait la nouvelle Juliette.

À ses côtés se trouverait un véritable Roméo des temps modernes, Nathan.

Lui contrairement à son amie n'était pas un grand lecteur à l'origine, il était plus vu comme le "fan de musique" : le petit qui jouait du piano pour faire plaisir à ses parents, mais qui reprenait sa guitare dès qu'il en avait l'occasion.

Poussé par son entourage et ses professeurs, Nathan s'était présenté aux auditions une fois son texte appris.

Il s'était avancé sur la scène à petits pas, l'air gauche et peu confiant. Cependant, il avait croisé un regard qu'il n'oublierait pour rien au monde. Un regard pétillant, plein de bonté et de courage. Un regard de petite fée, de princesse. À tout jamais, Nathan sus que ces yeux qui le regardaient avec émerveillement seraient ses préférés.
Il était amoureux des yeux d'Emilie Johnson.

Tout le long de l'audition, ses magnifiques yeux étaient restés braqués sur lui, brillants et rempli de l'espoir que ce garçon soit son Roméo.
Nathan, lui, pria de tout son cœur pour voir le regard étincelant de sa Juliette jusqu'à la fin de ses jours.
Malgré ses innombrables supplications, le vœu du petit garçon ne fut pas exaucé.

Une odeur étrange sortit Emilie de sa rêverie : U
une odeur inhabituelle dans un bus. Elle leva le nez de son livre et constata qu'une jeune femme aux cheveux dorés s'était assise juste en face d'elle, dos à la vitre et des écouteurs vissés dans ses oreilles.

« Copieuse », pensa Emilie.

Elle identifia d'ailleurs bien assez tôt l'odeur désagréable : la blonde allumait sa cigarette sans se soucier le moins du monde des règles qui l'en empêchait. Emilie se racla la gorge, l'air irrité.

- Excuse-moi ?

Sois la fille l'ignorait royalement, sois elle ne l'avait réellement pas entendue.

- Allô ? réessaya Emilie, sans succès. Elle soupira. Hé toi !

La blonde leva la tête en fronçant les sourcils. Elle retira un de ses écouteurs et expira la fumée avec son nez, avec un air de dragon énervé.

- Tu peux pas m'interrompre comme ça, s'exclama-t-elle. C'est la meilleure partie de la chanson !

- J'en ai rien à faire, mentit-elle de toute évidence. Elle savait à quel point il était sacré de ne pas interrompre ce genre de moments. T'as pas le droit de fumer ici.

Il y eut un blanc et Emilie repris son livre avec lassitude tandis que la jeune fille en face d'elle souriait, victorieuse. Celle-ci s'avança d'ailleurs sur la banquette jusque devant Emilie, qui reposa son livre agacée cette fois-ci. La blonde la regardait avec un sourire narquois.

- C'est quoi ton p'tit nom ? lâcha-t-elle l'air intéressée.

- Paté, répondit simplement Emilie.

- Oh, original. Paté comment ?

- Paté Zognon.

Emilie reprit son livre et se cacha derrière pour dissuader son interlocutrice de renchérir, mais l'entendit rire de bon cœur.

- Je vais bien t'aimer toi, je le sens ! fit l'inconnue.

La brune posa son livre sur la banquette. Si un regard pouvait tuer, la blonde serait sûrement déjà étalée raide morte sur les sièges. Ce n'était pas vraiment l'effet escompté, c'en était même l'inverse en réalité.

- Moi, c'est Olivia Green, continua cette dernière. Mais appelle moi Liv honnêtement. « Mme Green » c'est trop formel, et « Olivia » ça fait lèche-cul, affirma-t-elle.

Les lèvres d'Emilie se tordirent dans un rictus d'incompréhension, visiblement exaspérée, et descendit du siège précipitamment lorsque le bus s'arrêta devant le lycée. Elle ferma son sac avant de le jeter sur son épaule, et le casque vissé sur sa tête, se dirigea vers l'établissement.

Liv toujours dans le car regarda autour d'elle, abasourdie. Elle remarqua près d'elle un livre, « Roméo et Juliette », abandonné sur la banquette et fronça les sourcils.

- Merde, c'est le livre de Paté ça ! s'exclama-t-elle.

Elle le fourra dans son tote bag là où il restait un semblant de place, et se retrouva sur le parvis du lycée en un rien de temps.

Mais la cloche sonna bien trop tôt à son goût, et la jeune Paté Zognon s'était volatilisée.

They end up together at the very endOù les histoires vivent. Découvrez maintenant