Chapitre 3 - Une rivale ?

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Le lendemain matin, Lisa prit son petit déjeuner au lit. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas dormi une nuit complète. Bien qu'elle ait trouvé son lit trop grand et trop vide, elle appréciait les avantages de ne pas être infaillible et d'être rentrée seule pour une fois.

Elle couvrit la pièce du regard, sujette à la nostalgie. Les choses n'avaient pas toujours été comme ça, la misère s'était immiscée dans sa vie le jour où sa mère avait succombé au cancer. Elle n'avait alors que dix ans. Suite à ce décès, le père de Lisa avait sombré dans l'alcool et avait commencé à aller régulièrement se saouler dans les bars en laissant la fillette seule avec son petit frère, disparaissant parfois pendant des semaines entières, abandonnant ses enfants en leur laissant simplement quelques restes de repas dans les placards.

Puis elle était devenue un trop lourd fardeau. Une simple bouche à nourrir sans aucune utilité. Il avait alors tenté de la vendre à un proxénète patibulaire qui prévoyait de l'envoyer travailler dans un pays étranger lointain. Effrayée par cette perspective, la fillette s'était enfuie, abandonnant à la fatalité son petit frère dont elle n'eut jamais plus de nouvelles.

Elle avait parcouru seule le pays deux longues années, errant telle une âme damnée, sans argent, sans toit, sans rien. Cependant, elle était déterminée à réussir, à sortir de la rue. Elle voulait étudier, devenir quelqu'un d'important, montrer au monde ce dont elle était capable. Mais comment faire sans un sou en poche ? Le destin qu'avait voulu lui imposer son père la rattrapa alors et elle se résolut à vendre son corps pour financer ses études, mais au moins c'était son choix à elle cette fois.

A l'école le jour, en compagnie d'inconnus la nuit. Cette routine aurait choqué nombre de ses camarades de classe s'ils l'avaient su mais elle finit par apprécier son mode de vie qui alliait travail et jeu de séduction. Cela avait également forgé son caractère et ancré en elle une haine profonde à l'égard des hommes.

Elle était aujourd'hui parvenue au but qu'elle s'était fixée. Elle avait plusieurs fois été récompensée pour ses travaux scientifiques et ne manquait dorénavant plus d'argent. Toutefois, même si elle ne se vendait plus à présent, elle avait gardé son habitude de collectionneuse d'hommes. La sensation qu'elle éprouvait en manipulant la gent masculine pour obtenir ce qu'elle voulait avant de se débarrasser sans ménagement de sa dernière proie était une drogue dont elle ne pouvait plus se passer. Pourtant, elle ne se sentait toujours pas heureuse...

Les réminiscences du passé furent troublées lorsqu'on frappa à la porte. Le serveur d'étage ne tarda pas à entrer :

— Excusez-moi de vous déranger, madame, mais un homme désire vous voir.

Imaginant déjà voir arriver Jonathan qui regrettait de s'être inexplicablement enfui hier soir, elle passa la langue sur sa lèvre supérieure avec contentement. Puis elle se leva et confia son plateau au serveur :

— Faites-le monter, intima-t-elle.

Elle retourna s'allonger sur le lit défait en faisant coulisser la bretelle droite de sa minuscule nuisette pour parfaire le tableau. Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit, laissant apparaître le général Bellhaie et son imposante bedaine. Désenchantée, Lisa enfila promptement sa robe de chambre :

— Que faites-vous ici ? pesta-t-elle.

— Vous commencez votre service demain, sept heures. Soyez ponctuelle.

— Ah, c'est juste pour ça que vous êtes venu. Le colonel Filips ne vous a pas accompagné cette fois ?

— Il est dans la voiture. Il n'a pas voulu monter.

— Pouvez-vous lui dire que...

— Je ne suis pas votre secrétaire ! coupa-t-il sèchement, il était de toute évidence d'aussi mauvaise humeur que la veille, et que tous les autres jours de l'année d'ailleurs.

Avec une idée derrière la tête, Lisa s'approcha du téléphone et brandit le combiné :

— Du champagne ? C'est moi qui offre, proposa-t-elle sur un ton hypocrite pour apaiser le petit homme bourru.

Les moustaches du général frétillèrent. Il ne disait jamais non à un verre d'alcool, même tôt dans la matinée, alors il arracha l'appareil des mains de la belle avec un sourire gourmand.

Elle retira précipitamment sa robe de chambre et fonça ainsi vêtue (dévêtue, devrait-on dire) dans l'escalier. Le général avait raison, la Limousine stationnait de l'autre côté de la rue et, la vitre étant abaissée, on apercevait Jonathan qui attendait derrière le volant. Elle le rejoignit.

— Vous jouez les chauffeurs ? minauda-t-elle.

— Les chauffeurs de profession ne sont pas fiables, ils révéleraient les secrets de la base à n'importe quel journaliste en échange de quelques billets, commenta-t-il avec froideur.

— Vous n'avez pas été très courtois hier soir, en m'abandonnant sur le trottoir.

— On m'attendait quelque part...

Lisa ne remarqua la présence d'une jeune femme assise sur la banquette arrière du véhicule que lorsque celle-ci se pencha pour passer la tête entre les deux sièges avant. Athlétique, elle avait une longue queue de cheval brune et de captivants yeux verts-noisettes.

— Filips, c'est quoi ce charabia qui est censé être un rapport ? reprocha-t-elle avec impertinence en agitant une petite feuille blanche sous le nez du colonel.

— Désolé si je ne suis pas diplômé d'une faculté de lettres.

La jeune femme remarqua alors Lisa en tenue légère sur le trottoir :

— C'est une de tes conquêtes, Jonathan ? taquina-t-elle avec sarcasme.

— Ne sois pas stupide. Il s'agit du docteur Lisa Milton, la nouvelle directrice des recherches.

— Ah, il était temps qu'on trouve quelqu'un pour remplacer Noldman.

— Lisa, je vous présente le lieutenant Amanda Siler. Elle travaille de temps à autre dans le secteur biologique. Vous vous croiserez sans doute régulièrement.

Amanda tendit la main à Lisa avec brusquerie, manquant de peu d'assommer le colonel au passage. Cela n'avait cependant pas l'air de le perturber. Il observait le lieutenant d'une manière attentionnée qui énervait Lisa au plus haut point. Elle grogna un petit bonjour entre ses dents puis regagna sans tarder la chambre d'hôtel, furibonde.

Le général Bellhaie était vautré dans le fauteuil contigu à la fenêtre, un verre de champagne à la main et une assiette de caviar sur les genoux. Frustrée, Lisa s'enferma sous la douche sans même prendre le temps de retirer sa nuisette. Elle s'adossa contre la paroi de verre puis se laissa glisser jusqu'en bas.

Elle haïssait déjà cette Amanda. Cette dernière ne lui avait pourtant rien fait et l'avait traitée avec un respect relatif. Néanmoins, ses manières l'exaspéraient. Sa façon de sourire si innocemment, cette désinvolture avec laquelle elle s'adressait à Jonathan qui était pourtant son supérieur hiérarchique, son air si gentil, serviable et drôle, sa féminité pas le moins du monde altérée par l'uniforme militaire, tout, absolument tout en elle mettait Lisa dans une colère noire. Serait-elle jalouse ? Non, pas Lisa. Pas elle. Pas pour un homme. Jamais.

La grosse voix du général rassasié retentit depuis la chambre :

— Merci pour le petit déjeuner. A demain docteur. Sept heures !

S'en suivit un claquement de porte puis un pénible silence troublé uniquement par le bruit de l'eau ruisselant sur le visage de Lisa et s'écoulant ensuite dans les tuyaux de canalisations. Ces tuyaux qui reliaient toutes les habitations de la ville, probablement même jusqu'à la mystérieuse base dissimulée sous les montagnes qui cernaient la région...



A Double Tranchant (Terminé)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora