Chapitre 27 - Crime passionnel

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Marchello n'avait pas attendu qu'on lui demande d'entrer, il s'était invité lui-même à pénétrer dans l'appartement du colonel. Il était venu pour récupérer les dossiers que Jonathan était censé avoir dérobés à la base mais il ne prêta plus aucune attention à l'homme dès l'instant où il vit Lisa, timidement emmitouflée dans ses draps. Son regard gourmand se posa sur elle et elle fut alors submergée par la panique et l'abattement.

Sans tenir compte des deux autres présences, l'Italien se jeta sur la petite reine. Il la gifla tout d'abord puis voulut la traîner hors de ses multiples couvertures. Indignée, Amanda se mit elle aussi à donner des coups. Elle grimpa sur son dos et tenta de l'étrangler entre ses bras. Mais il était bien plus fort qu'elle, déjà affaiblie par les mésaventures de ces derniers jours.

Jonathan, qui jusque-là n'avait pas cillé, quitta enfin sa torpeur. Il n'accepterait plus de voir Lisa souffrir par sa faute. Au diable l'OESA et son Maître. Le colonel remonta ses manches puis s'avança vers l'Italien. Le frapper, le battre, l'immobiliser. Non, le tuer. Oui, le tuer, pour Lisa, pour elle, pour se faire pardonner et la venger. Plus rien d'autre ne comptait. C'était sa seule pensée, son obsession. Le tuer, qu'il crève !

Il était devenu une machine dont la seule fonction était de frapper jusqu'à ce que mort s'en suive. Un premier poing s'abattit sur la pommette gauche de Marchello, puis un deuxième sur l'œil droit, ensuite dans l'estomac. Il était déchaîné et toutes les tentatives de l'Italien pour reprendre le dessus ou s'enfuir restèrent vaines. Jonathan le repoussa à coups de pieds jusqu'à la fenêtre. D'une main plaquée sur son visage, il tentait de le pousser à l'extérieur.

— Filips, on était potes tous les deux, argumenta Marchello d'une voix tremblante tout en tentant de sauver sa peau. J'te laisse la nana si tu veux. Hein, Fifi ?

Les paroles n'atteignirent pas le cerveau du colonel. Les sons rentraient par une oreille et sortaient par l'autre sans qu'ils n'aient eu aucune signification entre temps. Il ne répondait plus de ses actes et était guidé par la seule haine qu'il éprouvait envers lui-même. Il se répugnait d'avoir trahi la petite reine et de l'avoir livrée à un monstre tel que Marchello.

Non, décidément cet Italien se débattait trop vivement, il ne parviendrait pas à le faire basculer par la fenêtre. Sans avoir conscience de ce qu'il s'apprêtait à faire, Jonathan tendit la main en direction d'un petit loquet à côté de la vitre et le fit tourner vers le bas. La fenêtre ouverte coulissa d'un coup et guillotina Marchello en un éclair net et impitoyable. Le bois s'abattit sur sa gorge avec une telle violence qu'il trépassa dans l'instant.

Toujours déchaîné, Jonathan pressa la fenêtre plus fort encore contre le cou de la victime et sépara définitivement la tête du corps. Le visage figé dans une horreur luciférienne, les yeux grands ouverts, la bouche crispée et du sang sur le front, ce fut dans cet état lamentable que la tête de Marchello, après avoir fait une chute de plusieurs mètres dans le vide, s'écrasa sur la chaussée.

Loin d'avoir repris le contrôle de ses actes, le colonel continuait à battre le corps inerte avec fureur. Jonathan se sentait nargué par ce cadavre immobile qui encaissait sans rien dire. Il s'en prit bientôt aux bibelots sur la commode, à une peinture sur le mur, à tout ce qui se trouvait sur son passage.

Lisa se laissa submerger par les larmes salées qui glissaient sur ses joues de porcelaine.

Quelque peu intimidée par ce comportement si étranger au colonel, Amanda tenta de le raisonner :

— Jonathan, calme-toi, s'il te plaît. Il est mort.

Mort. Ce mot retentit plusieurs fois dans le cerveau de l'homme. Mort. Trois syllabes répétées qui prenaient peu à peu forme dans son esprit dérangé. Mort, il était mort. Et c'était lui qui l'avait tué. Lui, Jonathan Filips, le gentil fils unique d'une famille bourgeoise qu'il avait abandonnée en fuguant à l'âge de treize ans. Lui, le fils adoptif de l'armée à qui il s'était dévoué corps et âme tant d'années. Lui encore qui n'aurait pas osé faire de mal à une mouche.

Oui, il avait été tout cela. Mais quand ? Tout lui paraissait si lointain à présent. Lisa. Lisa avait provoqué tous ces changements en lui. A moins qu'elle n'ait fait que réveiller cette partie jusqu'alors inconnue de son être qui avait depuis toujours été enfouie au plus profond de lui-même. Quoi qu'il en soit, il était maintenant un meurtrier. Le poids était trop lourd à porter sur ses épaules et il se laissa tomber à genoux sur le tapis blanc, maculé de sang.

Amanda se baissa elle aussi pour le prendre dans ses bras et essayer de le consoler. Il était comme paralysé, le regard fixé sur la divine Lisa en pleurs. Même si ses yeux le piquaient, il ne pouvait pas laisser couler ses larmes amères, en commettant ce crime il avait perdu un peu de son humanité. Rien ne l'avait contraint à agir de la sorte, ce qui s'était passé aurait pu être évité. A chaque minute qui s'écoulait son cœur se durcissait davantage pour se protéger derrière une carapace d'acier.

A l'opposé, Lisa ne contrôlait plus ses émotions et ses tendres sentiments. Elle aurait aimé être comme lui, il aurait aimé être comme elle. Ils avaient besoin l'un de l'autre mais pourtant ils savaient pertinemment que l'objet de leur désir réciproque était la cause de leur malheur. Si seulement, si seulement... Mais l'heure n'était pas aux lamentations.

Amanda se releva en évitant de poser les yeux sur le corps sans tête :

— On doit partir. Maintenant.

Personne ne daigna répondre.

— Si on reste ici, quelqu'un va finir par nous trouver. Les gens de la base, ou alors la police. Voire même des copains de celui-là, avertit-elle en désignant d'un geste vague ce qui restait de Marchello.

Lisa se leva en torturant son mouchoir. Sa respiration était pénible et elle éprouvait une certaine difficulté, emprunte de honte, à cesser de pleurer :

— Je... Je suis d'accord... Il faut partir.

— Et où voulez-vous aller ? s'enquit Jonathan d'un ton monocorde, machinal, le regard vide.

— Un hôtel, répondit Amanda à contrecœur.

Elle aurait préféré se réfugier dans une grotte dissimulée au fond de la vallée qu'elle avait repérée quelques semaines plus tôt, mais elle jugea inutile de s'opposer aux décisions du colonel à un moment pareil. Il était peut-être dangereux. Qui pouvait sincèrement affirmer le connaître ? Il était si imprévisible ces derniers temps. Il ne savait plus lui-même ce qu'il était réellement ou non.


* * * * * *


Daniel se sentait ballotté dans tous les sens. Quelqu'un le transportait. Ses yeux semblaient refuser de s'ouvrir, il avait encore un pied dans une autre dimension étrange et lointaine, dénuée de toute luminosité et de toute vie. Peut-être qu'il était mort et que seule son âme prisonnière de son corps subsistait.

C'était ce qu'il avait toujours redouté et il s'agissait de sa plus grande crainte : rester séquestré dans son propre corps pour l'éternité, quel cauchemar ! Le jeune homme se voyait déjà ressasser indéfiniment les souvenirs de son vivant, se remémorer les instants sublimes passés auprès d'Amanda, apprécier enfin la vie à sa juste valeur. Cette vie qui ne tenait qu'à un fil, cette vie qu'il regretterait jusqu'à la fin des temps sans plus jamais la connaître, la toucher, la ressentir...

Le sol cessa enfin de tourner autour de lui. Ses pieds l'effleurèrent, s'y posèrent ensuite plus lourdement. Il faisait chaud. Affreusement chaud. Les flammes de l'enfer ? Il ne pouvait plus supporter son propre poids et relâcha tous ses muscles. Ses jambes se plièrent légèrement mais il ne s'effondra pas sur le sol. Quelque chose le retenait, ses bras étaient attachés au-dessus de sa tête.

Que se passait-il ? Il ne comprenait pas. La réflexion devenait trop difficile. De toute façon il s'était promis de ne plus craindre pour sa vie, il avait toute confiance en Amanda, elle viendrait le chercher. La chaleur l'abrutissait et il n'avait plus la force de lutter. Il fut à nouveau immergé dans une obscurité inconsciente.



A Double Tranchant (Terminé)Where stories live. Discover now