Epilogue

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Nous y voici. L'épilogue de cette aventure de ma jeunesse. J'ai rempli ma part de marché. Max sera heureux. C'est très étrange de remuer tous ces souvenirs dix ans après. J'ai dépassé la trentaine maintenant. Je suis toujours aussi normal qu'on puisse le penser. Je sens la question qui vous brûle les lèvres. Jimmy est-il toujours dans ma vie ? Bien sûr que oui. Cela n'a pas toujours été rose. Parfois je dormais dans le futon du salon. Parfois, il allait dormir chez ma mère. Oui vous avez bien lu ! Ma mère. Et c'est moi qui prenais une avoinée, en plus. L'essentiel restait que nous allions toujours chercher l'autre après quelques heures. Au final, j'étais heureux. J'avais sérieusement besoin de ma dose de cannelle sinon, dixit Pepper, j'étais pire à supporter qu'un junkie en phase de manque.

Je suis d'autant plus heureux que j'ai repris la boutique de Shimura sensei. Je suis officiellement un maître du thé maintenant. Depuis un mois. Dix années d'apprentissage auprès d'un maître mondialement reconnu. Ça, je ne le savais pas. Je reste toujours un peu idiot quand même quand on y pense. C'est lorsque ma mère était venue, penaude, saluer mon maître que j'avais réalisé que ma mère avait elle aussi commencé son apprentissage à l'époque de sa jeunesse. Ce n'était pas rien tout ce qu'elle m'avait appris dans l'enfance. Nous avions apporté une modification au salon de thé. Nous avions demandé à Shimura sensei si cela était correct. Nous avions transgressé en ajoutant une pièce blanche pour que Jimmy ait son salon de tatouage et que notre appartement soit véritablement privé. Enfin privé, c'était vite dit. La nouvelle chambre d'amis était occupée chaque fois que nécessaire. Parfois, Max lorsqu'il se chamaillait avec Alexis... Alexis qui n'avait jamais quitté le petit studio de Max étant donné que celui-ci refusait absolument de partir pour quelque chose de plus grand puisqu'Alexis était provisoire bien évidemment. Parfois ma mère ou Papy lorsqu'il était trop tard après certaines soirées. Une fois, mon frère parce qu'il était suffisamment mal et que je n'avais pas eu le coeur de le laisser seul. Bon d'accord, je me disputais souvent avec lui mais je crois que je lui avais pardonné d'une certaine façon. Parfois, c'était un môme qu'on recueillait et que Papy nous demandait de veiller.

J'avais appris qu'il y avait peu de pièces qui entraient dans notre famille et à ma connaissance j'avais été le dernier. La chaîne s'était interrompue. J'ai mis longtemps avant de comprendre qu'ils attendaient tous que je trouve moi-même la prochaine pièce du puzzle. Comme une chaîne sans fin d'entraide. Je savais que j'étais pardonné parce que je m'étais beaucoup impliqué pour Max. Nous nous entendions réellement comme deux frères. Parfois Jimmy nous laissait seuls. Il savait que nous parlions tous les deux de beaucoup de choses qui ne devaient rester qu'entre nous.

Au final, j'aimais profondément ma vie, mon homme et ma famille. Mon travail aussi. Même si j'avais dû passer des examens et des trucs et des machins pour pouvoir reprendre le salon. Nous recevions toujours Shimura sensei en grande pompe dans le salon. Elle y avait sa place et venait très souvent. Elle continuait de m'enseigner même si elle m'avait accordé le titre de maître. J'avais un dernier examen à passer. C'est donc de l'aéroport que je vous écris ces mots. Je suis avec ma mère, mon maître, Papy et bien entendu Jimmy. Je dois aller chercher mon véritable titre auprès d'un autre maître de thé au Japon. Est-ce que j'en suis heureux ? Oui ! Profondément. Surtout qu'il y a au programme un ryokan et des onsen dont Jimmy ne cesse de parler. J'aime son regard dans ces moments-là. Il est à côté de moi et essaie de voir ce que j'écris. Je sais qu'il a glissé une lettre dans mon manuscrit mais je ne la lirai qu'à la fin de mon récit.

Dans toute cette agitation, je me sens déconnecté et profondément serein. J'ai fait mon chemin. Il reste tant à vivre. Je sais que j'ai déjà choisi celui qui entrera dans la famille mais ils ne le savent pas. Vous savez c'est un jeune homme, pas un gamin paumé. Il doit avoir dans les vingt-cinq ans. C'est une espèce d'armoire à glace aux yeux bleu gris. C'est mon frère qui s'était plaint qu'il était suivi en revenant de la salle de sport. Ah oui, en dix ans, il vous manque quelques éléments. Mon frère a bien eu son titre d'ingénieur mais a préféré au final ouvrir une salle de sport. Inclusive. Il insiste beaucoup là-dessus me défiant à chaque fois. Il a embauché quelques coachs, qu'importe ce qu'ils étaient, il voulait leur compétence. Seulement voilà, un des habitués semblait toujours sur son chemin. Il s'en était ouvert à Papy qui était arrivé un jour au café suivi d'une espèce de chiot dopé aux amphétamines et au regard craintif. J'avais compris immédiatement ce regard. J'avais compris aussi que lorsque le chiot survitaminé en question s'était pointé avec des coupures à l'arcade sourcilière et un coquard mémorable que quelque chose n'allait pas. Alors, nous l'avions aidé. Fatalement. Néanmoins, j'étais absolument ravi que mon frère soit poursuivi par un gorille à la peau lisse. Nous l'avions fait bosser en tant que coach sportif. Nous nous étions tous mis au sport pour l'occasion, même papy qui avait encore fait des miracles. Pour le moment, je ne sais pas comment les choses vont se présenter. Comme dit toujours Papy, il faut laisser au temps le temps nécessaire pour produire ses effets. Une chose est certaine. L'armoire à glace regarde toujours mon frère à la dérobée et lui n'arrête pas de tempêter et de l'envoyer au diable.

Tout cela m'amuse profondément. Une tâche cependant. Mon beau-père a fini par se suicider. Il n'a pas supporté que ma mère parte et emmène ses garçons. Moi, il s'en foutait mais lorsque Marc a rompu la relation après un énième incident, il ne l'a pas supporté. Chagrin ou ego démesuré, nous ne le saurons jamais. Mon frère et ma mère eurent du mal à encaisser le choc. Moi j'avais Jimmy et la certitude que mon père à moi était déjà parti. J'avais pu rencontrer mon oncle. Ma mère avait fait ce cadeau à son jeune beau-frère devant le coeur à défaut de la loi. Je savais maintenant d'où venaient mes manies lacrymales. Mon oncle m'entraînait sérieusement à l'anglais ! Pire que ma mère. Je préférai malgré tout parler avec Jimmy dans sa langue première. Il en était toujours tout retourné. Cela me donnait quelques avantages pour certaines nuits.

Je lève le regard et je les contemple en souriant. Ma mère me fait un petit coucou et apporte soin à nos deux aînés. Ils sont bien vieux maintenant mais toujours aussi pétillant et en bonne forme. Nous y veillons tous.

Je crois que j'ai parlé de tout le monde sauf d'Alban et de Wanda. Ces deux-là continuent de se chamailler mais je comprends que le maillon qu'Alban a ajouté n'était autre que Wanda. Ils sont heureux. Cela se voit. Alban gère les affaires de Papy d'une main de maître et ma mère l'aide beaucoup. Wanda aide mon frère quant à elle. Beaucoup également. Wanda n'a jamais abandonné son rôle et continue de veiller. Elle est bien plus tendre que ce qu'elle n'admettra jamais. Marian est toujours un secret. Le temps ... toujours le temps.

Notre petite famille va donc bien. Nous ne manquons de rien et sommes toujours une famille régnante du marais. Nos frasques amusent beaucoup la galerie. Surtout quand je retourne faire des extra au café dirigé maintenant par Max. Il est franchement doué et a réussi à maintenir toute l'affaire dans le sens de la mode. Pepper est toujours reine de la soirée, pardon impératrice étant donné que maintenant, elle a décidé qu'elle régnait sur un empire. Alexis s'était moqué, il avait bouffé le rouge à lèvres. J'avais beaucoup ri.

J'entends que notre vol est appelé à l'embarquement. Il est temps de se quitter. J'espère que ce récit vous fera vous souvenir de ce qui est essentiel dans vos vies. N'oubliez pas que quelqu'un vous aime. Que ce soit dans le passé, le présent ou le futur. N'oubliez pas de boire du thé. C'est très bon pour la santé. Et peut-être viendrez-vous voir cette famille de barges que nous sommes. Nous ne vous promettons qu'une seule chose : vous faire sourire.

A bientôt, peut-être.

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