Chapitre 4

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Shu-an ne s'était pas précipité comme nombre de ceux qui se qualifiaient comme ses camarades. Le mercenaire avait avancé de quelques mètres, dardant un regard curieux vers ses collègues qui partaient pour la plupart dans des directions différentes, avant de choisir un arbre dont une parte des épines avaient changé de couleur. Il n'y avait nul besoin de se précipiter ; quelques heures de repos étaient après tout bien mérité.

Shu-an sentit le sommeil le rompre, au moins jusqu'à ce qu'une forte odeur ne le réveille. L'odeur du sang. Shu-an était assez vieux pour ne pas ressentir la même frénésie que ses pairs avaient tendance à subir à la moindre vapeur de goutte pourpre. Les yeux rouverts, Shu-an tentait d'identifier le niveau de risque pour lui, pour le village, se fondant dans les chausses du protecteur qu'il n'avait jamais été. Ce fut un exercice palpitant ; au lieu de chercher le plus rapidement possible les blessés pour les achever, Shu-an avait l'impression de découvrir tout un pan de l'existence qu'il ignorait jusqu'à présent. Vif, rapidement rendu au sol, une paire de cris l'attirèrent plus rapidement encore que la salive qui se formait aux coins de ses lèvres.

 En avançant au travers de la forêt grise où la brume se formait en mauvaise maîtresse, Shu-an fondit trois vers un petit groupe de diablotins qui s'en prenaient à deux des mercenaires de son groupe. Il reconnut le plus jeune, qui portait une coupe longue avec des cheveux d'un blonds d'étrangers mais avec des yeux aussi tirés qu'un villageois local. Il regardait, effaré, les monstres éviscerer son compagnon de leurs cornes, lapant les intestins ainsi libérés de leur prison de chair de leurs langues crochues, tout ça dans des cris étouffés au milieu de quelques vaines tentatives de les chasser. Shu-an se détendit à l'annonce du cauchemar qu'il s'apprêtait à être ; galvanisé par la quantité absurde d'effluve qu'il était en train d'absorber, il dévoila la lame de son sabre en même temps qu'il se jetait sur les immondices qui attaquaient l'humain. Il ne fallut qu'un geste latéral pour découper deux des créatures qui n'eurent pas le temps de glapir leur surprise. La dernière en revanche, sauta sur un arbre dans l'espoir de fuir ce qui se transcendait en prédateur.

 La créature cria sa peur quelques instants avant que sa tête ne roule au sol. Pas assez, râlait intérieurement Shu-an, vindicatif de ses propres instincts alors que ses yeux cherchaient le jeune rescapé. Ce dernier n'eut pas le temps de baver un quelconque remerciement qu'une langue violacée s'enroulait autour de sa cheville. Son frêle corps fut balancé vers la cime de la forêt, et il fallut une sacrée chance au garçon qui parvint à se bloquer entre deux branches. Shu-an fondit sur la forme grotesque d'un crapaud gros comme deux buffles ; il trancha la langue, puis deux pattes, avant d'insérer sa lame tout au fond de sa gorge pour vérifier s'il avait déjà avalé quelqu'un ; son ventre gonflé répondit au moins autant à la question que le morceau de chaire bagué au fond de son gosier. Dommage pour celui-ci. Shu-an leva un regard vers le gamin qui pendait dans les hauteurs. 

«Reste là-haut, gamin, peu de choses devraient pouvoir t'attraper. Tu sais te servir de ton arc ?
— O-oui...
— Sers-t-en pour repousser ce qui se rapprocherait un peu trop d'ici.
— D-d'accord, vous repasserez me chercher, hein ?»

Shu-an fut tenté de dire que non ; il se rappela dans un souffle nasal qu'ici, tout près de ce village qu'il ne pensait plus chercher, il jouait un rôle. 

«Oui. Mais avant, je vais m'assurer de quelques petites choses.»

La chasse se rouvrait. Une telle apparition de démons n'était pas anodine ; et surtout, ils étaient si proches du village que les dégâts pourraient vite devenir catastrophiques pour ces pauvres petits humains qui luttaient déjà bien assez fort pour survivre à l'hiver. Un long grognement s'éparpilla au milieu de la brume qu se renforçait ; Shu-an ferma les yeux pour s'appliquer sur son ouïe, puis son odorat. Le sang flottait encore dans l'air, rapidement suivi par ce qui pourrait être un étrange aphrodisiaque.

Jusqu'au premier soleil de marsWhere stories live. Discover now