Hate you too - PROLOGUE

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PROLOGUE

🎶 Heathens – Twenty one pilots

Il fait froid à s'en geler les couilles.

      Je l'ai pourtant dit à Sam que les nuits se rafraîchissent et qu'il serait plus sûr d'opérer dans la voiture. Mais il n'en fait qu'à sa tête. Et en vérité, je ne m'y suis pas opposé.

      L'air est glacial, mais le sentiment de plénitude est total. Du haut du toit de cet hôtel, la paisible ville de Seattle, une fois minuit passé, offre un spectacle dont je me délecte sans retenue. Je ne suis pas monté sur un toit depuis un moment. J'avais oublié cette sensation d'abandon où la liberté m'est offerte.

– Canari à poussin ! braille Sam dans mon oreillette.
     — Je t'ai déjà dit d'arrêter avec ces surnoms à la con.

     Son rire traverse mon oreille, il poursuit :

– Jamais, mon poussin. Où ça en est ?

     Je m'avance vers le rebord et observe la rue. À une époque j'aurais déjà été pris d'un vertige, rien qu'en prenant l'ascenseur pour arriver ici.
Je râle. Il est déjà minuit trente-deux sur l'écran de mon portable, il se fait désirer.

     — R.A.S, soufflé-je, agacé.
– Fais chier, on n'a pas toute la nuit.
     — Tu as un rendez-vous galant, mon canard ? m'amusé-je.
– Si je reste ici à te chaperonner c'est sûr que j'en aurai plus, mon poussin.

     Il finit par m'avouer qu'il a rencontré quelqu'un sur un site de rencontre et que ce soir, c'est le grand soir. L'idée me fait grimacer, on ne sait jamais quelle cinglée peut se cacher sur ce piège numérique qu'est internet. Mais Sam, lui, passe sa vie sur ces sites. Quand je l'ai connu il en rencontrait une par jour, aujourd'hui il se contente de deux par semaines, voulant je cite « rencontrer l'âme sœur ».  Il m'a dit ça il y a quatre mois.

     Nos taquineries durent un instant avant que l'on se fasse interrompre.

– Trêve de bavardage messieurs nous gronde-t-elle. Ton pass va expirer dans une demi-heure à peine. Je ne peux pas mieux faire. Au-delà, ils remarqueront ma présence dans leur système. Alors moins de blablas et plus de concentration.

     Je fouille dans ma poche pour vérifier que mon pass y est toujours. J'aurais bien voulu la faire à la James Bond. Mais grimper aux murs n'est pas ma tasse de thé, alors la seule issue qui me restait, était l'ascenseur du personnel dont l'accès est sécurisé.

     — T'en fais déjà beaucoup June, clamé-je, en espérant qu'elle perçoive le remerciement qui se dresse derrière mes mots.
Adossé au mur, j'allume une cigarette et la porte à ma bouche. Cette saloperie aura ma peau, bien avant la mort elle-même. Une seule par jour, c'était ma limite. Bien plus qu'un vice, ça me détendait. La première bouffée de fumée envahit mes poumons et les minutes s'allongent. Ma patience, elle, s'amenuise. Je m'accroupie, fixant le sac à mes pieds. Et comme toujours, avant un job, j'essaye de me rappeler pourquoi j'en suis arrivé là. Il y a longtemps que la raison n'est plus, mais mon âme ne souhaite plus s'en défaire. Comme un rappel à ma déchéance. Je sors d'abord le trépied et le viseur puis les pose au sol. Quand j'attrape ma paire de gants, le bruit métallique de la porte qui claque, me sort de mes songes.
Des sanglots brisent le calme qui s'était installé autour de moi. Une personne accourt vers le rebord. Une jeune femme...à en croire le timbre de voix que je perçois entre deux pleurs. Elle ralentit avant d'atteindre sa destination et son sac à main s'étale sur le sol. Sans qu'elle ne s'y attarde, elle continue à se rapprocher du vide, doucement... dangereusement.
Un pied sur le rebord elle regarde longuement en bas puis fais deux pas en arrière et sanglote. Elle secoue ses bras, un geste qui me paraît trop familier.
Comme pour s'armer de courage...
À cet instant, je comprends que trop bien ce qui se joue devant mes yeux. Je tire à nouveau sur ma clope avant de l'écraser au sol, abandonnant mon attirail. Alors que je m'avance avec prudence vers elle, elle fait à nouveau un pas.
— Tu es sûre de toi ?
Mon intention n'était pas de l'effrayer, pourtant elle sursaute et se retourne brusquement. Me dévisageant, les yeux grands ouverts, seuls les reflets de lune éclairent son visage. Assez, pour que je puisse y déceler de la frayeur.
— Qui es-tu ? souffle-t-elle.
– À qui parles-tu ? j'entends June me demander.
— Cet immeuble fait dix étages au moins, l'informé-je.
— C'est parfait ! s'exclame-t-elle.
Elle rigole, et ses rires deviennent fébrilement des pleurs.
Elle est tarée et il a fallu que ça tombe sur moi.
– Qu'est ce qui se passe Kal ? Walker est arrivé ? insiste June.
Merde, mon job. Je traverse la jeune femme et regarde vers la rue. Une voiture de couleur sombre est arrivée au même moment. Quel timing. Je comprends que c'est celle de Walker quand son chauffeur lui ouvre la portière et qu'il en sort. Accueilli par deux personnes en costume, l'homme pénètre le bâtiment en face, suivi de ses sbires. Le compte à rebours est déclenché, il ne me reste plus que vingt minutes avant que mon pass ne se désactive.
Reste concentré.
— Cible en position, j'informe June.
Je soupire presque de soulagement, il est primordial de ne pas rater ce job. Nous en avons besoin. J'en ai besoin. Et dire que j'aurai pu faillir à cause de...
Je regarde vers ma droite tout en me rappelant le scénario terrible qui aurait pu se produire. Mais mon répit est de courte durée. Elle est désormais à deux mètres de moi, sur le béton surélevé, prête à sauter.
 Pourquoi moi putain ?
Une voix sourde dans ma tête me torture soudainement. Je jette à nouveau un coup d'œil sur la voiture de Walker puis sur mon portable. Je retire mon oreillette et la glisse dans la poche de mon sweat, profitant de la tiédeur qui enveloppe mes doigts.
 Elle doit s'en aller, tout de suite.
— Descend de là, tu veux ? sifflé-je, perdant patience.
Je m'en veux immédiatement d'avoir haussé le ton. J'aurai pu lui faire perdre l'équilibre et chuter. Mais à ma grande surprise elle ne flanche pas et reste droite comme un piquet.
Bonne maîtrise.
— Je peux le faire. Je vais le faire ! hurle-t-elle à son tour.
— Je n'en doute pas. Si tu es dans une pseudo crise d'ado où que tu as besoin d'être rassurée sur tes capacités j-
— Quoi ? Non je…mais...va-t'en s'il te plaît !
Durant un instant, l'idée de tourner les talons me traverse, après tout ce ne sont pas mes affaires. Fais chier. Mais en plus de ne pas me préoccuper de ce qu'elle pense faire, je pourrais me mettre en danger si elle venait à être témoin de ce que je m'apprête à faire sur ce toit.
— J'ai déjà assez de problèmes pour rajouter à ma conscience la culpabilité de n'avoir rien fait pour que tu ne fasses pas cette connerie. Et j'étais sur ce toit avant toi, je te signale. Ce n'est pas à moi de partir.
Je m'approche d'elle avec lenteur et me surprends à la détailler. Ses cheveux -– rouges et longs– tombe en cascade sur sa nuque. Comme de la soie rouge, ils flottent avec le vent. Je m'attarde ensuite sur sa robe évasée et blanche, dont le tissu virevolte également. Peut-être sort elle d'une fête. Je ne peux voir que son profil, elle paraît jeune. Trop jeune pour penser à se foutre en l'air.
L'espoir n'appartient donc plus à personne.
— Et puis ce petit remake de Titanic ne m'amuse pas beaucoup, j’ajoute impatient.
— Et tu crois que moi je m'amuse là ? Fous moi la paix, merde !
— Tu ne devrais pas t'adresser à moi de cette façon en étant si proche du vide.
Comment ose t'elle me parler de cette manière ?
Rapidement, j'aperçois son regard assassin se poser sur moi, m'analyser de haut en bas et se rediriger sur le néant qu'elle confronte.
— Un souci ? demandé-je, sceptique.
— Rien...juste que tu n'as pas l'air d'aimer les films comme Titanic.
Sa voix est moins agressive et je perçois la douceur qui ne s'y trouvait pas il y a un instant.
— Émettre un préjugé sur un inconnu ce n'est pas la meilleure façon pour engager la discussion.
— C'est toi qui me tapes la discute, idiot.
— Dit l'idiote qui se prend pour un oiseau supplément gênes de manchot.
Alors qu'elle commence à m'énerver et que l'idée de la laisser tomber, me séduit, mes muscles se tendent quand elle ricane avec légèreté.
— Ça ne vole pas un manchot.
— Bravo Einstein. Tu comprends pourquoi c'est stupide ce que tu fais là ? pesté-je.
— J'aimerais voler comme une colombe et survoler la ville cela dit.
Dieu, qu'ai je fais pour que me coltiner cette folle ce soir ?
Je lui offre mon silence comme réponse avant de trouver drôle le lien entre la colombe et le fait qu'elle porte une robe blanche comme les plumes du dit oiseau. Elle penche la tête en arrière et ouvre les bras, inspirant lourdement. Je regarde à nouveau vers la voiture, zéro mouvement. Mais ma patience atteint sa limite. La vie, je la supprime, et ce soir je me retrouve à vouloir en sauver une, à devoir en sauver une. Je décide de la rejoindre sur le béton surélevé, sans rien dire. Sa respiration est calme, tandis que je tente de raisonner la mienne. Une longue minute s'estompe avant qu'elle ne brise le silence.
— Je voulais juste... commence-t-elle
— Juste ? l'incité-je à continuer, sans réellement dissimuler mon agacement.
Elle me dévisage, médusée.
— Te donner la mort ? j'ajoute, face à son mutisme. Tu n'arrives même pas à le dire ? Serais-tu-
— Je t'interdis de faire comme si tu me connaissais.
Plus que douze minutes.
— Et je n'en ai pas envie, donc tout le monde est content. Tout ce que je veux c'est que tu descendes de là, que tu vires ton petit cul de ce toit et que tu retournes d'où tu viens.
— Tu parles toujours comme ça aux inconnus ?
Je l'observe rapidement avant de reporter mon regard sur le trottoir d'en face. Un des gardes du corps de Walker est sorti.
— Seulement aux manchots, craché-je.
— Humour de merde.
— Vie de merde ?
Elle m'assassine de ses yeux, dont je peine à déceler leur réelle couleur sous la pénombre. Je ne sais pas comment je fais preuve de self-control, je n'ai qu'une envie, crier à plein poumon pour qu'elle dégage. Mais le temps s'étire sans que nous parlions et, par un heureux miracle, je perçois un mouvement du coin de l’œil. Elle descend et soupire.
— C'est ridicule, non ? pouffe-t-elle, nerveuse. Je pensais faire preuve de courage, pour une fois.
Je descends à mon tour. Le courage, c'est ce qu'a inventé l'humain pour justifier ses coups de folies.
— Je ne pensais pas en arriver là un jour, poursuit-elle. Toute ma vie on m'a demandé d'être courageuse.  « Sois courageuse, ce n'est qu'un bras cassé », « Sois courageuse, ton chien est parti au paradis des animaux ».
Elle fait alors les quatre cents pas et je l'observe, vider son sac. Sam rirait de la situation. Moi, Kalen Reid, psychologue de nuit malgré moi.
— « Sois courageuse, ta mère s'en sortira, elle est forte ». Je veux juste être courageuse pour en finir avec cette vie où tout tourne en catastrophe. C'est vrai, je n'ai plus rien à perdre, ni à gagner. N'est-ce pas le but d'une vie, gagner ?
Elle est maintenant assez proche pour que je remarque ses larmes dévaler ses joues, écarlates, comme le bout de son nez. J'expire un bon coup, refoulant le dégoût que me provoque ce que je m'apprête à dire.
— Je t'assure que le courage c'est de continuer à te battre contre ce qui te chuchote à l'oreille de commettre ce genre de débilité. Tu sautes et puis quoi ? Ton démon intérieur aura eu ce qu'il voulait. Faible ou tenace, il faut choisir ton camp.
— Qu'est-ce que tu en sais ? raille-t-elle.
Son visage affiche un sentiment indescriptible, peut-être du mépris. Et l'espace d'une seconde je revois cette baignoire remplie à ras bord, l'eau teintée de rouge, avant de lui répondre :
— On me chuchote tous les jours à l'oreille.
Elle ouvre alors la bouche, sûrement pour répliquer et ne lui laissant pas l'occasion de le faire, j'ajoute
— Maintenant récupère ton sac et dégage d'ici.
Elle s'exécute et je l'observe récupérer ses affaires au sol. Puis elle se redresse, ses cheveux roux suivant le mouvement de ses épaules. Je me dirige vers mon sac et m'apprête à l'ouvrir. Mais me ravise lorsque son murmure m'irrite autant que le froid contre ma peau.
— C'est quoi ton prénom ?
Je fouille finalement ma poche, trouve mon oreillette et la remets en place. Mon prénom ? Et un café peut-être ? Mes sourcils se froncent d'incompréhension avant de lui faire face.
— Il ne te sera d'aucune utilité.
Elle fronce les sourcils et son nez fin se retrousse. Une parfaite bouille de petite emmerdeuse. Je quitte les prunelles sombres de la rousse et me dirige vers le rebord.
– Qu'est-ce que tu foutais ? râle Sam dans mon oreille.
Derrière moi, les pas de l’inconnue se font, peu à peu, lointains. La porte claque. Ma poitrine s’échauffe. Je boue d'une colère instantanée devant la scène qui se déroule tout en bas.
Ni Sbires, ni Walker. Sa voiture n'est plus là.
– Kalen ? persiste Sam.
— Qu'elle aille au diable, bordel !

HATE you too - TOME I - SOUS CONTRAT D'ÉDITION ***Where stories live. Discover now