Chapitre 4 : Les forts mangeront de l'écureuil

87 12 19
                                    

DU GIVRE BRILLAIT SUR LES EPINES DE PIN qui tapissaient la clairière. De faibles rayons de soleil perçaient la couverture nuageuse qui planait au-dessus de la forêt. Un vent glacé battait la fourrure de Petite Euphraise, qui, en position assise, semblait fichée dans le sol. 

Près d'une lune s'était écoulée depuis le décès de Petite Tourbe et de Petit Crépuscule. Le souvenir de ses frères disparus hantait toujours la conscience de la petite chatte blanche, qui pourtant n'avait cessé d'essayer d'oublier. Elle s'était rapprochée de Petit Pommier, qui avait perdu toute espièglerie depuis leur mort. 

Quand à Maman... Sentier d'Aneth était devenue plus froide qu'une nuit de Mauvaise Saison. Les premières nuits, elle avait dormi en boule avec son compagnon et ses deux derniers petits, mais désormais elle n'était plus qu'un fantôme. La plupart du temps, Petit Pommier et Petite Euphraise dormaient sur un autre nid de mousse, à l'écart de la reine blanche. Ses yeux verts n'étaient plus aussi chaleureux qu'auparavant. Comme si la perte de deux de ses chatons avait retiré une partie de son âme. 

La Mauvaise Saison reculait petit à petit, mais l'humidité était constante et torturait le clan de l'Ombre sans relâche. Plainte de Colvert et Nuage de Noisette se démenaient pour trouver des remèdes à tous, mais il n'était pas facile de trouver des herbes qui n'avaient pas brûlé sous la neige et le gel. Le tas de proies étaient décroissant de jour en jour. Le soleil paraissait pudique, ne montrant que quelques rayons par jour.

Le temps était long.

« Je t'en prie, Aneth ! s'exclama la voix de Croc de Mouche non loin de là. Tu ne vois pas que le reste du clan est malade ?

— C'est toi qui est malade ! feula Sentier d'Aneth en faisant volte-face, foudroyant son compagnon du regard. Tu fermes les yeux, mais tu sais très bien pourquoi nos deux fils sont morts cette nuit là ! »

Petite Euphraise vit son père fermer les yeux, les oreilles basses, comme si les souvenirs jaillissaient par milliers dans son esprit. 

« Les proies n'étaient pas rationnées, les guerriers comme toi se couchaient le ventre plein tandis que les plus fragiles comptaient leurs propres jours !

— Ecoute-toi ! cracha le matou gris sombre, son poil soudainement hérissé. Par le clan des Etoiles, tu entends ce que tu insinues ? Ils étaient malades ! Tout le monde avait le mal vert ! Plainte de Colvert n'y pouvait rien, pas plus que moi, pas plus que toi ! »

Sentier d'Aneth battit rageusement de la queue, l'air désapprobateur. Petite Euphraise déglutit lentement. C'était la première fois qu'elle voyait ses parents aussi fâchés l'un contre l'autre. 

« Je sais une chose, fit-elle, appuyant lentement sur chacun de ses mots. Tu as choisi de soutenir un clan faible qui préfère se reposer et fuir devant le danger. 

— Je soutiens un clan juste, gronda Croc de Mouche.

— Un clan juste où tes propres petits sont morts. »

À ses mots, Sentier d'Aneth fit volte-face, et Petite Euphraise put voir un mélange de rage et de désespoir briller dans ses yeux. La mère et la fille échangèrent un regard, puis la reine à la fourrure blanche se dirigea vers le tunnel de sortie du camp à grands pas. Croc de Mouche se tenait là, ses yeux ambrés perdus dans le vide. À voir l'air démuni de son père, Petite Euphraise sentit son coeur se serrer. Au plus profond d'elle, elle avait compris que quelque chose qu'elle avait cru indestructible se brisait petit à petit. Si seulement tout pouvait redevenir comme avant ? Pourquoi avait-elle dû naître au coeur de la Mauvaise Saison ? 

Les branches du tunnel s'écartèrent soudain. Pleine d'espoir, la petite chatte blanche et crème tourna la tête, heureuse que Sentier d'Aneth soit revenue pour s'excuser. Mais ce fut Plainte de Colvert qui émergea son museau plat caractéristique de l'entrée du camp. Elle était suivie d'une étrange chatte brun moucheté de noir, dont l'une des oreilles était en lambeaux. Ses yeux jaunâtres croisèrent ceux du chaton qui s'empressa de fixer ses pattes. Cette chatte — sans doute âgée, presque de l'âge d'une ancienne — éveillait chez elle un sentiment malsain.

Les Foudres du Ciel [une fanfiction La Guerre des Clans]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant