Chapitre 6

59 12 4
                                    

Je connaissais beaucoup de gens dont les parents étaient divorcés, si bien que la « séparation » était devenue une simple étape de la vie. Selon mes amis, le fait que les miens soient toujours ensemble tenait du miracle. On rigolait même parfois du sujet. Après tout, rien de plus courant que deux parents séparés. Olivia, Emma, Charlotte, William et Noah ou encore Amber, June, Holly, Dylan et Mathéo, tous dont les parents étaient séparés depuis un bon bout de temps...

Mais quand ça vous arrive, soudainement, l'événement est d'une effroyable cruauté. Surtout de cette façon...

Accroupie dans un coin de ma chambre, je sentais sous mes fesses le plancher froid peu entretenu, déposé maladroitement sur la vieille moquette que nous avions trouvé à notre arrivée... ce plancher qui avait si souvent recueilli mes pleurs de petite fille, après des journées épuisantes, sous les moqueries quotidiennes de mes camarades de classe. Ce même plancher avait été le premier à rencontrer Cass, mon premier amoureux, trois ans auparavant, alors que je venais de le hisser secrètement par la fenêtre. Celui qui avait, encore et encore, recueillis mes pleurs, après que Cass m'ait quitté pour une autre, bien plus belle que moi.

Aujourd'hui, ce n'étais pas des pleurs dont il était témoin mais d'une immense colère, une colère aveuglante qui m'aurait fait gifler quiconque se serait trouvé malencontreusement dans cette pièce.

J'entendis, au loin, des murmures étouffés. Mon père et Tante Tatalia discutaient à voix basse, de sorte que je ne les entende pas, ce qui était peine perdue, en raison de mon ouïe surdéveloppée :

- « Je vais prendre une douche, entendis-je dire ma tante. »

- « Dépêche-toi alors ! Ta sœur ne va pas tarder à revenir, lui répondit mon père. »

Mais quel connard ! Il souhaitait encore cacher son adultère à ma mère, alors que je venais d'en être témoin. Ma tante, dans cette même pensée – nous avions autrefois été si complice - lui répondit :

- « Tant pis ! Maintenant que le mal est fait... »

- « Tu as sans doute raison, lui répondit mon père. »

Je n'avais jamais entendu mon père prononcer des mots sans violence et si doucement. Il avait l'air différent avec Tante Tatalia. Je regrettais tellement que cela ne se fusse pas passé ainsi avec ma mère.

Alors, mon père la rejoignit dans la salle de bain, dans MA salle de bain, dans la salle de bain où je me lavais, coiffais, maquillais depuis 21 ans.

J'entendis l'eau couler pendant 10 minutes, puis le bruit fin des vêtements qu'ils enfilaient. Ils ne parlaient plus. Je les imaginais coupables, rouge de honte de s'être retrouvés dans cette position devant moi. Mais je savais bien que j'avais tort. L'amour fait tant de ravage...

Le corps encore chaud de plaisir, je les entendis frapper à ma porte. Pas même je ne fis l'effort de répondre. Pas même je ne fis l'effort de croiser leurs regards qui étaient apparus dans l'entrebâillement de ma porte qu'ils avaient ouverte doucement, en l'absence d'une réponse de ma part.

- « Bonjour Alison. Ça va ? Je sais que c'est difficile ce que tu viens de voir. Ça va te foutre un coup pendant un peu de temps mais tout ira mieux après. Ne t'inquiète pas... »

Dites moi qu'elle se fout de moi !

*

Je ne sais pas si le soir même mes parents se sont disputés. Je ne sais pas s'il y a eu des pleurs. Je ne sais rien car cette nuit-là, j'ai décidé de sortir pour ne pas affronter la triste vérité qu'est la vie.

J'ai marché. Je pense avoir fait tout le tour de Boston à pied, arpentant les rues étroites, la musique diffusée faiblement par les écouteurs enfoncés dans mes petites oreilles, fredonnant parfois des airs qui m'étaient connus.

J'ai tellement marché que j'en ai eu mal au pied.

J'ai tellement marché que j'en ai... presque oublié ce qui s'était passé quelques heures auparavant.

Quand je suis rentrée, tout était parfaitement silencieux. Toutes les lumières étaient éteintes.

J'aurais pu monter, me dire que tout allait parfaitement bien. Mieux ! Qu'il ne se fût jamais rien passé, que mon père avait toujours dîné avec nous, tous les soirs... Mais malgré l'obscurité, j'aperçus ma mère, en pleurs, allongée sur le canapé.

*

Deux jours plus tard, mes parents nous prirent à part, mon frère et moi. Ma mère prit la parole, et nous annonça, de son air désolé :

- « Votre père et moi... On va se séparer. On pense que c'est mieux comme ça ! »

J'aurais voulu lui hurler que « Non ! Sans déconner ! C'est la seule chose que tu trouves à dire alors que ce salaud te trompe avec ta propre sœur ?! ». Lui balancer à la figure que tout ce qu'elle avait fait depuis le début pour sauver son couple n'avait servi à rien. Maintenant, on en était là...

Mais je n'eus pas la force de lui dire ce qui m'avait traversé l'esprit. A la place, je les regardais, eux qui avait autrefois étaient si heureux d'emménager ensemble.

Je regardais mes parents détruire ce qu'ils avaient construit ces vingt dernières années.

Je regardais mes parents détruire ma vie.

Lemon Zest Love [EN PAUSE]Where stories live. Discover now