Chapitre 5

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Quelque part dans le royaume des morts...   

     Sa délicate robe blanche, d'où des centaines de volants s'évertuent à se déployer comme des pétales, fend le sol inerte sur royaume des morts. Là où tout n'est que noirceur reposante, sa lumière scintille et semble créer une rémanence dans le monde où la mort fume de partout. Son souffle est haletant. Sa peur est insoutenable. Et cette silhouette porte le médaillon de bronze qui semble virevolter lorsqu'il retombe à chaque sursaut contre la poitrine de l'ange. Elle se fait appeler Delibria.

     Delibria est l'ange quatrième de la mort. Ils sont six, les six protecteurs des terres de l'au-delà. Ils empêchent les vivants d'entrer, les morts de sortir, les sortilèges désavantageux de se réaliser... Ils étaient aussi la cause de la résurrection. Une population entière d'ange réside dans le palais, de simples petit être ailés qui ne sont que les messagers des anges royaux. L'une de ses petites créatures a également servi de messager pour Lore Pagan lors de sa résurrection. Mais les anges sont connus pour ne pas être excessivement cruels alors ils sont accompagnés de Catrilea. Un monstre terrifiant qui se définit par un chat à six têtes qui possède une queue de sirène.

     La course de l'ange s'intesifie. La peur qu'elle ressent gravite froidement dans l'atmosphère. Bientôt ce n'est plus sur un sol marqué par une surface platonique qu'elle progresse mais à travers des fleurs. La brillance de l'être divin éclaire les narcisses qui paraissent repousser à chacun de ses pas. Pourtant, malgré toute la beauté du spectacle ou de la complexité du royaume, ce paysage n'a rien d'idyllique. Du moins pas en ce moment.

     Si Delibria se retrouve malheureusement dans ce champ de narcisses, où quelques pommiers s'accroîssent difficilement, c'est parce qu'elle a choisi d'aller chercher des fruits. Les anges n'ont pas besoin de se nourrir, s'il le font c'est par plaisir. Mais elle y tenait vraiment. C'était alors quand elle s'est éloignée du palais que quelque chose à commencer à la poursuivre. Une entité oubliée. Presque un monstre. Une ombre. Une ombre plus obscure que les abysses du Tartare, une ombre dont la couleur n'arrive plus à se définir.

     Cette ombre a trahi les royaumes il y a des millénaires. Sa puissance, alimentée par sa haine, est devenue incontrôlable et elle a dû être enfermée. Son enfermement était consenti par la reine des anges et le roi des ombres. Jamais plus, jamais plus l'on ne l'avait revu. Jusqu'à aujourd'hui.

     Le plus terrifiant c'est que Delibria connaît l'ombre qui la poursuit actuellement dans le royaume des morts. L'ombre qui n'a toujours pas été chassée par l'odeur de bronze qui embaume chaque recoin du paradis obscur. Cette ombre est à présent plus vindicative que jamais. Cette ombre fera tout pour parvenir à ses objectifs. Cette ombre qui n'est personne d'autre que... Bakyard.

     Elle s'essouffle à chaque seconde qui s'égrène dans sa course folle. Elle sent sa magie s'épuiser et cela se perçoit à sa lumière qui commence à s'éteindre. Un ange n'est pas éternel, un ange n'est pas immortel. Bakyard serpente derrière elle, à une vitesse toute aussi effrénée. L'ombre l'happe de sa noirceur et de sa senteur d'argent. Elle se sent un peu étourdie mais continue à courir.

     L'ombre se définit un peu plus quand elle s'approche de la lumière angélique. Elle est brumeuse, elle inspire la tempête, le chaos. Son corps n'existe pas, il n'y a que cette masse brumeuse qui se concentre sur un point pour détailler une forme indescriptible. Ses yeux sont deux billes blanches qui scintillent, c'est la seule partie de son anatomie qu'on arrive à identifier. L'entité n'a pas de mains, pourtant elle peut nous égorger. L'entité n'a pas de bouche, ni de dents, mais peut nous croquer en une fraction de seconde. Il a aussi des griffes, invisibles, mais qui sont bien présentes.

     Ces créatures ténébreuses possédaient des dons. Oui même des êtres diaboliques pouvaient recevoir des dons. Ils ressentent la peur des autres, sentent l'odeur du sang, analysent les moindre faits et gestes et tout cela pour trouver leur proie. Et à cet instant, c'est Delibria la proie.

     Pour s'enfuir plus rapidement, elle déploie ses grandes ailes, aussi blanches que la pureté elle même. Un battement puissant ralentit l'ombre en propulsant Delibria dans le ciel ténébreux.

— Nous t'avons enfermé depuis la nuit des temps Bakyard, articula-t-elle entre deux inspirations. Il est inimaginable que tu sois sorti de ta prison.
— Dis moi Delibria, m'as-tu connu du genre à me laisser faire ? Je ne pense pas non. J'ai toujours une solution à tout. En plus, celle la était plutôt appétissante, ajoute-t-il sur un ton machiavélique.
— Ne me dis pas que... Tu es horrible ! Vous les ombres êtes toutes horribles !

    Elle bats des ailes et continue de s'enfuir. L'ombre qui s'était arrêtée reprends son assaut en augmentant la vitesse.

— Bon sang Bakyard ! Que veux-tu ?
— Rien...

      Il marque une pause dans sa réponse comme pour laisser resurgir des souvenirs. Pendant un instant, la seule partie visible de son anatomie, qui se réduit à ses globes oculaires, prennent un air mélancolique. Pourtant, rien ne l'arrête dans sa course.

— Je ne veux plus personne, reprend Bakyard. Je veux juste me venger.
— Bakyard, l'oubli de...

     Dans cette nuit sans fin, baignée par la seule lumière de l'ange, l'ombre fond sur l'ange. Bakyard se disperse en une brume moins épaisse, il utilise ce sort tant redouté. Un sort qui sert généralement à la téléportation de l'ombre mais dans cette situation il provoque l'ivresse, la paralysie. Delibria ne bouge plus. Ses ailes ne battent plus.

     Si la brume provoquée par ce sort redoutable n'enveloppait pas le corps de l'être ailé, Delibria serait probablement au sol. Mais ce n'est pas le cas. Ce sort porte le nom le plus tabou au royaume des mort. Hazy Gloom. Obscurité brumeuse. Ce sort si inoffensif et à la fois si formidable viens de prendre contrôle de tout le corps de Delibria. Elle sait que son dernier souffle va bientôt arriver. Mais elle essaie pourtant de se débattre des ténèbres et de porter sa main à son cou. Sa lumière s'éteint. Tout est plongé dans le noir.

    Delibria voit les dents de Bakyard se détailler dans l'amas de ténèbres. Elle sait ce qu'il va se passer, elle connait la cruauté et la voracité des ombres. Mais elle réunit les dernières lueurs de sa magie dans le déplacement de sa main jusqu'au médaillon. Elle le saisit. L'arrache. Le jette brutalement. Des milliers d'étincelles suivent l'explosion du médaillon contre le sol.

     La seconde suivante, elle rend son dernier souffle. Du sang s'échappe abondamment du creux béant ouvert dans la poitrine de l'ange. Son cœur se fait broyer par les dents du monstre. Bakyard réutilisa son pouvoir. Hazy Gloom. Pour disparaître du royaume des morts car il n'avait pas reçu ce pourquoi il était venu. Le médaillon.

Hazy Gloom Where stories live. Discover now