Chapitre 24 : L'alliance d'Escalon

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Une brise miraculée avait trouvé refuge dans l'aurore pâle de l'aube. Malgré un regard enflammé qui s'élevait dans les cieux, faisant jaillir des flots de chaleurs sur toute la contrée, ne régnait dans les courbes de l'horizon qu'un profond silence esseulé. Se suspendait dans le jour naissant, un lointain sanglot morose noyé dans les larmes de la rosée du matin. Les épis de blé, qui parsemaient les champs à la robe de braises, se balançaient dans le souffle diurne qui les caressait tandis que les pétales d'émeraudes s'égaraient dans la complainte du vent. Le chant des ruisseaux s'écoulait dans une sonate cristalline le long des roches avant de se déverser dans les plaines et le sifflement de l'Ouest remuait lentement les effluves argentés qui gravissaient les reliefs. L'écorce des arbres restait à jamais inerte, lorsque les reflets solaires enrobèrent leurs duvets écaillés sous un voile vermillon. L'éveil du nouveau jour s'exaltait au-dessus des quelques nuages qui chevauchaient les blanches murailles de la cité, et pourtant, une complainte morne et muette persistait à se déverser dans le courant de l'air qui en sillonnait les rues.

Dans la crypte, perdue au fin fond des murs de la citadelle d'Iradul, pesait la lamentation funèbre qui rongeait la mélancolie du granite. Une pénombre séculaire y régnait, et le cloitre d'entre ses murs n'était illuminait que par les vagues braises tournoyantes des chandelles parsemées le long des colonnes sombres.

Étendu sur un socle de pierre, le corps enseveli sous un drapé de velours aux motifs de sa nation, le regard clôt et l'esprit évadé dans les songes éternels, sommeillait le roi de Cryte. Entouraient la noble figure, les regards meurtris de ses proches, pleurant la disparition du souverain tant aimé de Cryte. Lauryan, en particulier, se trouvait tout près de la dépouille, les yeux luisant encore du souvenir de la veille, sentant tenir entre ses bras, le corps inanimé de son père. Il ressentait encore son poids lorsque la vie quitta son enveloppe, son sang ruisseler entre ses doigts et la lueur de son regard s'éteindre dans la nuit.

Le halo de l'aube, qui jaillissait de la seule fenêtre de la crypte, ensevelit peu à peu le sommeil du roi sous un linceul d'or et de chaleur, jusqu'à atteindre son visage, redorant ses traits, le faisant paraître, l'espace d'un instant, de nouveau en vie. Pendant cet infime moment, le prince cru le revoir tel qu'il était lorsqu'il lui légua ses derniers mots. Et puis la lueur s'évanouit et les traits du roi reprirent leurs marques funestes.

Alors qu'il fixait le masque blême qui s'emparait de nouveau du visage de son père, les larmes ne purent quitter le regard de Lauryan, et on sentait un fiel pernicieux écraser son souffle à chaque relent fébrile qui envenimait sa gorge. Les frémissements moites qui avaient envahi ses mains étaient tout autant dû à une profonde tristesse qu'à une acerbe colère. On remarquait son visage se resserrer lorsque ses pensées lui évoquaient le crâne de corbeau qui avait pris son envol avec la vie du roi entre ses serres.

Tandis que l'aube s'éteignit définitivement dans le silence de la crypte, des sujets vinrent recouvrir la tête du lion de Cryte sous les drapés, laissant s'effacer le dernier souvenir de son visage au prince. Les lueurs esseulées des cierges s'estompèrent une à une, et avec elles s'écoulaient les silhouettes meurtris qui quittaient la crypte, laissant bientôt seul Lauryan, face à sa peine. Sa fureur brasillait toujours et son chagrin demeurait inconsolable, si bien que lorsque l'on laissait s'écouler un dernier regard sur son ombre en quittant les lieux, on pouvait le sentir habité par un courroux palpable.

Alors qu'il déversait ses dernières larmes dans l'exil du caveau, les autres restèrent cloisonnés dans l'écho de la salle du conseil, lieux qu'ils jugèrent digne d'être une échappatoire suffisamment calme et vaste pour y rependre sa peine. On y demeurait muet et on laissait traîner son regard le long de la table, évitant de croiser celui d'un autre pour ne pas ébrécher le silence sur une possible altercation qui en naîtrait. On restait écroulé sous l'affliction, tentant de conjurer le mauvais sort des réminiscences venant hanter nos consciences comme si on écoutait résonner les pensées larmoyantes du prince à travers les murs de pierre. On s'évertuait à divertir son esprit en dévisageant les grandes statues de pierre qui surplombaient les estrades ou bien en diffusant ses pensées sur les nombreuses fresques peintes qui courraient le long des murs.

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieWhere stories live. Discover now