Chapitre 5

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A la flour vai toustèms l'abiho
En tout temps l'abeille va vers sa fleur
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Une douzaine de jours s'étaient déjà écoulés depuis la mise en branle matinale de la troupe de son frère. Alors que le jour naissant teintait le ciel d'un bleu pâle, la quasi totalité des villageois, au lieu de se préparer pour une nouvelle journée de labeur, s'était rassemblée à l'entrée du village pour voir partir les chasseurs. Même le prieur de Saint-Laurent était venu bénir les hommes sur le départ. Il avait ensuite entamé une Pater Noster et tous les présents s'étaient joins à lui dans une fervente prière.

Depuis, aucune nouvelle.

Aucun messager n'était parvenu au village ou au château pour informer de l'avancée de la traque, ni même de lettre contenant le décompte des bêtes abattues. La comtesse avait pourtant bien reçu une missive deux jours après leur départ précisant que les traces des loups étaient beaucoup plus nombreuses que ce que les chasseurs avaient imaginé et qu'ils avait perdu un chien. Mais depuis, plus rien. « Ils n'étaient pas allés jusqu'à Gap, quand même ! » Ragea Ariane qui errait au château.

Malgré l'absence d'information, les tensions au village s'étaient apaisées au fil des jours et bien que les habitants lui réservaient toujours un bon accueil, la jeune femme ressentait quotidiennement une légère angoisse courir sur sa peau. Un frisson désagréable partait de sa nuque et descendait le long de ses bras pour aller s'enfouir jusque dans ses entrailles. Elle était constamment sur les nerfs.

Comme à son l'habitude lorsqu'elle souhaitait s'isoler ou simplement contempler le paysage, elle décida de monter au sommet de la vieille tour de guet accolée au mur d'enceinte. Ariane espérait que la beauté du panorama et la brise rafraichissante qui soufflait toujours à cette altitude balayeraient ses sombres pensées.
Montant quatre à quatre les hautes marches de l'étroit et sombre escalier de pierres, la jeune femme se retrouva enfin en plein air, suivie de près par sa fidèle Léonore. Elle contempla les chaînes de montagnes qui s'étalaient devant ses yeux et constata une nouvelle fois que ce paysage majestueux et immuable avait sur elle un effet rassurant. Depuis petite, à chacune de leurs visites à Sigoyer-du-Dô, elle aimait retrouver ces hautes chaînes des montagnes qu'elle détaillait pendant un long moment. Du château de Montmaur, qui se situait plus bas dans la vallée du petit Buëch, elle pouvait apercevoir de la fenêtre de sa chambre surtout des bocages entourés de quelques collines boisées, ainsi que le dos de la montagne de Seuze mais elle ne bénéficiait pas un tel spectacle grandiose.

Ici sur les hauteurs, elle contemplait les crêtes des sommets environnants, comme celles du Vieux Chaillol ou du Sirac qui se trouvaient loin sur sa gauche. Elle ne distinguait pas la ville de Gap plus éloignée, mais distinguait bien les maisons groupées des villages de Châteauvieux qui côtoyait des vallons de la vallėe de la Luyre. Ou encore celles de Tallard se détachaient des champs verts et bruns, tels des petites taches grises. Plus loin vers l'Italie, les hautes arêtes en dents de scie des hautes montagnes sur lesquelles les neiges étaient presque immortelles, lui apparaissaient tels des géants couchés depuis des millénaires, figés à tout jamais dans la pierre. Elle prit une longue inspiration en s'adonnant un instant à la simple contemplation et laissa la beauté de ce monde la revitaliser, l'apaiser.
Ariane parcourut du regard la vallée creusée par la Durance, où les hommes profitaient d'une terre fertile et généreuse pour qui savait la travailler. Enfin, elle tenta de se remémorer la silhouette impressionnante de la citadelle de Sisteron qu'elle ne pouvait pas apercevoir de là où elle se trouvait mais qu'elle situait plus bas sur sa droite.

De ce décor magistral se dégageait un mélange de paix et de force. Une sensation qui avait tendance à l'infiltrer dans les veines des hommes et des femmes de la région et qui forgeait leur caractère à la fois réservé et volontaire. Les gens ici étaient vaillants, bons et sans pédanterie. Elle-même fille du pays, Ariane espérait avoir une partie de ses qualités dans son propre sang, même une infime.

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant