Chapitre 24

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Lou diable es pas toujour à la porto d'un paure ome
Le diable n'est pas toujours à la porte du pauvre
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Seul à genoux devant l'autel, Raymond-Guillaume Corbe était immobile, les deux mains jointes sur son torse. Il n'était pas comme ces fanatiques qui accordaient tout leur temps libre à la prière, il profitait seulement de ce moment de répit du début d'après-midi pour organiser ses pensées. Dès le début de sa vie monacale, il avait rapidement arrêté de réciter intérieurement les liturgies quotidiennes pendant les temps de prières. Il préférait plutôt utiliser ces moments d'inactivité pour se concentrer sur des réflexions plus matérielles et stratégiques que spirituelles.

À l'intérieur de la chapelle, l'humidité dût aux pluies torrentielles de ce printemps transperçait les murs de pierres et s'insinuait dans la fine couche de plâtre qui recouvrait les murs. Cette atmosphère froide et silencieuse, commune à de nombreux édifices religieux petits ou grands, accueillait les croyants en les invitant à l'introspection et à la pénitence. Sur les piliers et les arches romanes, des frises ocres et rouges dépeignaient les immémoriaux évènements de l'ancien testament en figeant le passé dans un recueillement perpétuel.

Le prieur en appuis sur le sol glacé semblait lui aussi sensible à l'ambiance particulière qui émanait du lieu. Bien que cette chapelle soit modeste, il appréciait l'ancienneté de l'édifice et trouvait cela rassurant. Même si le domaine était passé dans les mains d'autres ordres que celui qui l'avait construit à l'origine, l'ordre piémontais de Saint-Michel-de-la-Cluse, la chapelle perdurait depuis des siècles. Au fond de lui, le théologien et juriste qu'il était appréciait le caractère inéchangeable des choses et retrouvait dans le dogme religieux comme dans la loi, ce même aspect immuable. Il voyait dans cet état des choses, la définition de la force pure. Son esprit intransigeant retrouvait dans ces deux matières dans lesquelles il excellait, la vraie finalité vers laquelle il tendait. C'est pourquoi, lorsque quelques hommes se croyant supérieurs s'abrogeaient le droit de passer outre le Droit ou la Religion, il se faisait un plaisir de les anéantir. Tant il aspirait à cette force, à cette puissance incontestable.
A cet instant, alors qu'il demeurait immobile sur les pierres froides, il repensait aux affaires qui l'occupaient actuellement et concentra ses pensées sur ces dernières. Celles de Dieu seraient pour plus tard.

Il n'avait reçu aucune nouvelle de Pasquet mais ne s'en inquiétait pas. Il avait lancé son meilleur limier et savait que celui-ci userait de tous les moyens possibles pour faire ce pour quoi son maître l'avait envoyé.
Le prieur se doutait bien qu'il tuerait la petite troupe du baron. Pasquet était comme cela. Depuis son enfance, il avait de temps en temps un besoin viscéral de se défouler sur quelque chose, sur un animal ou sur un homme. Peut-être était-ce dû à ce qu'il avait vécu avant d'être recueilli ? Ou c'était peut-être autre chose. Lorsqu'il avait croisé la première fois son regard, alors que l'enfant essayait de relever son corps fracassé pour le suivre, il y avait vu un mélange de peur, de rage mais surtout de folie. Peut-être était-ce celle-ci qu'il laissait volontairement échapper par moment, alors qu'il s'appliquait à tuer ? Pour éviter d'être lui-même englouti, s'il la laissait enfermer au fond de lui-même.

Le prieur se moquait bien de la mort du baron, il y aurait bien une enquête diligentée par la Maréchaussée mais rien ne le reliait à lui. La comtesse et son époux seraient sûrement questionnés. Et même si ceux-ci orientaient leurs soupçons sur sa personne, qui oserait mettre en doute un petit prieur dont le seul souhait était la bonne tenue de sa charge ? Les gendarmes ne verraient que la discorde juridique en cours qui les opposent, rien de plus. Il leur montrerait alors le double de la lettre qu'il avait envoyé à la Cour de Paris, demandant assistance pour une réouverture du procès. La haute institution lui avait répondu, sans toutefois s'engager, grâce à l'intervention de Monseigneur de Vintimille, l'archevêque de Paris. Ce dernier, qu'il avait connu lors de sa première année à l'école de théologie, lui avait ainsi fourni une preuve de sa bonne foi. Pourquoi le prieur serait-il impliqué dans le meurtre sordide d'un seigneur avec qui il n'avait pas de lien direct, alors même que son dossier avançait positivement sur une voie légale ?

Les larmes du RocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant