Chapitre 16

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Qu contra Dièu gìeta una pièra li cala sus la testa.
Qui attaque Dieu reçoit une punition.
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Pasquet était assis à même le sol, les genoux recourbés sous son menton. Il s'était positionné sur le côté du relais de poste à la sortie de Lettret, un hameau accolé à celui de Tallard. Malheureusement, le propriétaire de l'établissement l'avait délogé de son poste d'observation. D'habitude, il faisant semblant d'être saoul quand on essayait de le faire déguerpir et il encaissait les coups de pieds dans les tibias sans broncher mais cette fois-ci, face à la massive silhouette de cet homme, il était allé s'installer plus loin. C'est là qu'un clochard, aussi miteux qui lui, l'avait approché et lui avait donné la lettre sans qu'aucun mot ne soit échangé.

L'homme qui lui avait demandé d'attendre de ses nouvelles en ce lieu précis, l'avait enfin contacté.
Un peu plus d'un mois de cela, son méfait accompli, il avait rencontré son maître dans la ruelle proche de la place aux herbes. Il s'était faufilé entre les maisons voisines de la cathédrale de Gap, tel un rat discret longeant furtivement les murs pour retrouver son terrier. Il avait rejoint le lieu du rendez-vous, passant d'une ombre à l'autre, son précieux butin caché sous son vieux manteau.

Pourtant habitué à agir durant la nuit, Pasquet avait failli ne pas repérer la silhouette cachée sous le renfoncement du porche d'un immeuble. La petite rue était à peine éclairée par la lumière de l'aube naissante, point de lanternes à chandelle ici car ces dernières étaient réservées aux plus grandes artères de la ville. Privée de ces éclairages à petits carreaux plombés dont il fallait tailler la mèche de la grosse bougie toute les heures, la ruelle était un vrai coupe-gorge.

- Là. Dit la silhouette dissimulée, d'une voix à peine audible. Tu l'as ?

- Oui, répondit Pasquet qui venait tout juste d'apercevoir un mouvement de tissu alors qu'il s'approchait.

- As-tu rencontré un quelconque problème ? Demanda son maître, en tendant le bras vers lui.

- Aucun, et personne ne m'a vu. Le tribunal était désert et les deux agents chargés de la ronde de nuit jouaient tranquillement aux cartes, comme à leur habitude. Des bons à rien, souffla Pasquet en ouvrant un pan de son manteau pour attraper le document.

Le prieur jeta rapidement un coup d'oeil au papier pour vérifier qu'il s'agissait bien du document qu'il convoitait et le rangea rapidement dans son propre habit.
Bien, pensa-t-il, la première partie de son plan s'était parfaitement déroulée. Sans cette copie de justice archivée aux tribunal, il n'existait maintenant que l'original que détenait le seigneur de Sigoyer-du-Dô, ou plutôt sa femme. Il devait à présent trouver un moyen de récupérer ce dernier. Sans ce document original, les seigneurs débiteurs de son prieuré ne pourraient plus faire valoir leur droit d'exonération, jubilait-t-il intérieurement.

De sa main gantée, il avait nonchalamment tapoté la joue de son protégé, non pour marquer son affection envers celui-ci, mais plutôt pour le féliciter. Comme on donne une caresse encourageante à un chien qui a bien rapporté le bâton.

- Parfait, mon bon enfant. Tu es toujours aussi efficace. Tu vas maintenant te rendre à Tallard, au croisement des routes de Gap, Sisteron et Embrun. Là-bas, fond-toi dans le paysage et attend mes consignes.

Pasquet n'était certainement pas quelqu'un de bon et non plus un enfant.
Il devait maintenant avoir une vingtaine d'années et ne connaissait pas sa date de naissance exacte. Lorsque le moine l'avait emmené avec lui à l'abbaye de Clausonne, on l'avait questionné pour connaître son nom et découvrir qui était sa famille mais l'enfant n'avait jamais répondu. Les moines de l'abbaye l'avaient soigné et lui avaient fourni nourriture et confort, mais ce fût le prieur qui le prit sous son aile. A l'époque, Raymond-Guillaume Corbe n'était encore qu'un simple moine est n'avait pas vraiment eu le choix. Bien qu'on eut affecté à l'enfant une place dans le dortoir commun des novices, ce dernier avait refusé d'y dormir. Le garçon au caractère sauvage avait préféré tirer son fin matelas devant la porte de la cellule de son sauveur. Ce dernier le rembarrait systématiquement lorsqu'il sortait pour la première prière du matin en lui ordonnant de lui foutre la paix, mais le sauvageon ne s'était jamais laissé dissuader par les coups de pieds qu'il recevait pour le faire partir. Face à son opiniâtreté, Raymond-Guillaume Corbe n'avait donc pas eu le choix et l'avait installé à même le sol, dans un coin de sa propre minuscule cellule. Il l'avait ensuite baptisé et nommé Pasquet.

Les larmes du RocherWhere stories live. Discover now