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KEIGO

Je ne suis pas retourné au gratte-ciel pendant un moment, pour laisser l'eau couler sous les ponts. Mais une semaine plus tard, je ne tiens plus.

Heureusement que les Ailés ne m'ont pas remarqué, je n'aurais plus jamais eu le droit de sortir du champ de vision de la Commission — le gouvernement casse pied — et j'aurais été obligé de fabriquer de la neige comme mes parents jusqu'à la fin de ma vie pour l'hiver — selon moi la pire saison au monde, les nuages sont froids et je déteste la sensation de poser mes pieds dessus.

Ce jour là, je me dirige vers l'immeuble avant même les premiers oiseaux dans l'espoir de le voir. Mais rien.

C'est la première fois qu'il n'est pas là depuis que je le connais. Au début, je pensais qu'il venait pour voir le lever du soleil, mais je suis finalement arrivé à la conclusion qu'il fuyait juste la vie sur terre.

En le voyant basculer dans le vide, mon sang n'avait fait qu'un tour. Quelle idée de sauter lorsqu'on n'a pas d'ailes ? Peut-être un autre concept que les humains ont inventé.

Je l'avais rattrapé à temps, juste avant qu'il ne percute le gravier. Il était semi-inconscient à cause de la pression de l'air. Un risque à prendre.

Pour la première fois de ma vie, je touchais le sol pour le poser au sommet du gratte-ciel. Ces quelques secondes étaient de loin les plus merveilleuses de ma vie mais peut-être qu'à force d'habiter là-bas, cela en devenait fatiguant pour lui. J'aimerais vraiment lui poser la question un jour, c'est un humain très intriguant.

Je suis soudain pris d'une terrible envie. Je veux vraiment poser mes pieds sur une surface plate à nouveau, profiter un petit moment. Peut-être même que je pourrais m'assoir comme lui, sur le rebord.

Après quelques minutes à me poser des questions, je prends finalement mon courage à deux mains et m'envole en direction du toit. Posant un pied puis un autre, je me tourne en direction de la grande vue que le gratte-ciel offrait et suis époustouflé devant ce que la ville offrait. Comme des milliers de petites fourmis, la population vagabondait dans les rues à une vitesse hallucinante. Je voyais même des choses rouler. Mon émerveillement dura dix bonnes minutes.

Des papillons dans le ventre, je m'apprête à me poser sur le rebord avant de sentir une pression sur mon épaule.

La pire chose qui pouvait arriver à un Ailé.

Je me suis fait repéré.

Je me tourne lentement, pâle comme un linge. Je tombe nez à nez avec le garçon qui m'obsède depuis bien longtemps déjà.

Je sais que je devrais être heureux, mais j'ai surtout très peur. Ma communauté m'a raconté plein de choses sur son peuple, comme quoi ce dernier nous voulait du mal et serait prêt à tout pour nous capturer.

D'un autre côté, j'ai l'impression de connaître cette personne et suis persuadé qu'il ne me blesserait jamais.

Je déglutis et recule d'un pas alors qu'il sourit comme s'il n'en croyait pas ses yeux.

« Tu te montres enfin.

— Euh...

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as perdu ta langue ? »

Je toussote, un peu mal à l'aise, ne sachant pas quoi dire, mais je suis en même temps un peu flatté du fait qu'il me reconnaisse. J'ai rêvé de ce moment mais ma vie est trop inintéressante pour commencer une discussion sur des sujets divers. À part les saisons, je ne connais rien.

Visiblement, il ne s'attend pas à une réponse puisqu'il se met à tourner autour de moi de façon un peu dérangeante. J'ai l'impression d'être une bête de foire.

« Bon, écoute, je ne peux pas rester ici. Ce que je fais est interdit, je lâche en commençant à prendre de l'élan, quittant le sol de deux ou trois centimètres.

— Tu voles vraiment ! Alors j'avais raison.

— Tu as peut-être raison, mais tu ne dois jamais en parler à personne. Tu gardes cette rencontre pour toi, d'accord ?

— Compris, mais ne pars pas maintenant. Tu as trop de choses à me dire.

— Ah bon... Mais il n'y a rien dans le ciel.

— Et toi, qui es-tu ? T'es genre, un élu qui gouverne sur le ciel ? Comme un prince ?

— Quoi ? Non. Je ne suis clairement pas un prince.

— Et à quoi ressemblent les constructions, là bas ? »

Je tique. Il idéalise beaucoup trop l'endroit d'où je viens, c'est à peine si nous avons des maisons, les nuages sont nos supports préférés. Je m'apprête à lui répondre mais on entend soudainement du bruit de l'intérieur du bâtiment. Quelqu'un venait par ici.

« Ah, c'est sûrement Natsuo.

— Qui ?

— Mon frère. D'ailleurs, moi c'est Touya. Et toi ?

— Keigo. » le susnommé se rapproche de plus en plus. « Je dois y aller ! Au revoir. »

Alors que je m'apprête à m'envoler, il me retient par la main — geste qui m'a d'ailleurs beaucoup surpris vu la chaleur de celle-ci. Je me retourne d'un air interrogateur.

« Tu reviendras, hein ? T'as pas le droit de partir sans rien dire. » insiste t-il en resserrant sa poigne. 

Ce n'est vraiment pas une bonne idée, mais je sais qu'il ne me laissera pas partir tant que je n'ai pas confirmé. Et puis, moi aussi j'ai des questions à lui poser.

« Je reviendrais, promis. Mais tu dois me laisser partir et ne rien dire à personne.

— Promis. »

Il me laisse finalement partir et je m'envole à regret, au même moment où la porte qui mène au toit s'ouvre. Je le vois parler un peu avec une petite tête blanche, puis s'en aller après avoir jeté un dernier regard aux nuages.

Moi, je pars le cœur léger suite à cela. Les promesses m'ont toujours filées entre les doigts mais je sens que pour la première fois de ma vie, j'en tiendrais une; celle de le revoir.



Alors, pour cette histoire, faisons comme si les avions et les hélicoptères n'existaient pas, merci bien 😭

Prince des Nuages [DabiHawks]Where stories live. Discover now