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TOUYA

« Tes ailes sont drôlement réalistes, Keigo. Tu ne trouves pas Touya ? »

Nous nous figeons tous les deux avant que je ne toussote pour reprendre un semblant de contenance.

« Eh bien, Tsunagu ne fait jamais les choses à moitié. Il a fait nos deux costumes.

— Oh ? Il m'avait pourtant dit qu'il s'était uniquement occupé du tien. J'ai sûrement mal compris. »

Je sens le blond s'enfoncer dans son siège alors que des sueurs froides me parcourent le dos. Comment Tenko s'est-il douté de quelque chose si facilement ? Mon état ne s'améliore pas lorsqu'il reprend la parole.

« Tu sais, c'est une drôle de coïncidence lorsque je repense à ce que Natsuo m'a répondu quand je lui ai demandé la raison de ton absence soudaine. »

La voilà la raison.

Mon frère.

Il lui avait sûrement parlé de ma récente obsession à observer le ciel sans relâche toute la journée.

Keigo me regarde avec de gros yeux, et j'ai l'impression de l'avoir trahi. Je déglutis, priant pour que Tenko n'aille pas plus loin.

Mais bien sûr, il va toujours plus loin.

« Un homme-oiseau... Quelle idée, hein ? » lâche t-il en plantant son regard dans le rétroviseur pour y rencontrer les nôtres, figés.

Un blanc s'installe dans la voiture sans que nous puissions y remédier. Je décide finalement de prendre mon courage à deux mains; de toutes manières, nous ne pouvons plus reculer.

« Tenko, tu dois absolument garder ça pour toi, c'est une question de vie ou de mort, dis-je, le cœur battant.

— Et puis, qu'est-ce que tu comptes faire avec cette information ?, réplique Keigo, assez irrité — sûrement parce qu'il me prend pour la dernière des ordures.

— Figure toi que tu peux très vite être enfermé et finir dans un zoo. Enfin si tu sais ce que c'est, évidement.

— Eh oh, c'est pas le moment de parler de ma connaissance en architecture humaine !

— Où est-ce que tu veux en venir Tenko ?, je lâche, à bout de patience.

— Que je peux te faire regretter de tenter l'impossible avec quelqu'un qui ne vient pas du même monde que toi, tout ça en nous laissant derrière. » un ange passe avant qu'il ne reprenne d'une voix plus posée. « Mais je ne le ferai pas.

— Quoi ?, nous lâchons d'une seule et même voix, ne comprenant pas où nous menait cette discussion.

— Je ne le ferai pas parce que je vois à quel point vous tenez à l'autre, même si vous ne vous connaissez pas depuis longtemps. J'ai l'impression d'être devant un nouveau Touya, mais au final, tu as toujours été ainsi. Nous étions juste de mauvaises personnes pour toi, je viens enfin de m'en rendre compte — enfin, surtout moi...

— Et je peux savoir pourquoi tu m'as fait frôler la crise cardiaque si tu ne comptais rien faire ?, demande Keigo, perdu.

— Je voulais juste te faire peur. Et me défouler aussi, je l'avoue. Mais je ne le prends pas mal si Touya nous remplace par quelqu'un comme toi, ça aurait pu être pire. Par contre, t'as intérêt à te montrer à la hauteur. »

Je sais que le blond me lance un regard interrogatif, mais je garde les yeux rivés sur mes genoux. Il ne comprend sûrement pas ce que veut dire Tenko, parce qu'il ne sait pas quelle a été ma vie jusqu'ici.

De toute façon, ça n'a plus d'importance. J'ai l'impression de respirer pour la première fois depuis des années; comme si j'étais retourné à l'époque où tout allait bien et que la vie ne m'avait pas encore submergé.

J'ai enfin trouvé le bonheur.

Keigo pousse un soupir et se renfrogne sur son siège.

« Les humains... Vous êtes incompréhensibles. »

Je lâche un rire et Tenko nous annonce que nous sommes arrivés à destination.

« J'ai le costume le moins remarquable, je vais acheter ce qu'il nous faut. Restez ici, je n'ai pas envie qu'on nous regarde bizarrement. »

Le silence règne dans la voiture jusqu'à que nous le voyons franchir les portes du supermarché. Suite à cela, Keigo se tourne vers moi avec un regard insistant.

« T'as envie de savoir ce qu'est un zoo ?, je demande d'un air moqueur alors qu'il lève les yeux au ciel.

— Non, je n'ai pas envie de faire de cauchemars.

— Je vois bien que tu veux me demander quelque chose. » il soupire et baisse un peu sa voix en posant finalement sa question.

« Pourquoi est-ce que tu as fait... ça, ce jour là ? »

Je soupire, me doutant bien que ce moment devait arriver un jour. « J'en avais marre de la routine.

— Quelle routine ? Vous avez tellement de choses à faire ici !

— Ouais... Justement. L'argent, les relations, les responsabilités... C'est fatiguant de vivre. C'est plus compliqué qu'il n'y parait.

— Et alors ? Ce serait trop nul de tout avoir servi sur un plateau. Moi, mon rêve, je suis allé le chercher. »

Je le regarde du coin de l'œil alors qu'il se détend sur son siège. « Qu'est-ce qu'il y a de si incroyable ici ? Plus que d'avoir des ailes.

— Toi. »

Il l'a dit tellement naturellement, sans gêne, alors que j'ai l'impression d'avoir vu éclater une bombe. Je toussote, très sûrement rouge comme un adolescent de quinze ans. Il se tourne vers moi et s'arme d'un sourire en coin.

« Tu es gêné pour pas grand chose.

— En même temps vu ce que tu balances...

— Tu mérites de l'entendre ! Tu t'es surpassé juste pour que je puisse profiter de la vie alors que tu ne l'aimes pas toi-même. Alors merci. Si je pouvais moi aussi faire en sorte que tu apprécies ce que tu vois... »

Un ange passe et je le fixe pendant tout ce temps. Il ne semble même pas le remarquer jusqu'à ce que je prenne la parole.

« Tu le fais déjà. »

Son regard se fend dans le mien et on reste dans cette position pendant de longues secondes. Au moment où il s'approche de moi, la portière s'ouvre, nous décalant instantanément.

« J'ai interrompu quelque chose ?, demande Tenko alros que je soupire.

— Rien du tout. Contente toi de conduire.

— Je laisse passer puisque je ne t'ai pas été d'une grande aide ces derniers temps. »

Alors qu'il se concentre sur le démarrage de la voiture, j'échange un dernier regard avec Keigo. On esquisse tous les deux un sourire entendu avant de chacun se tourner vers une fenêtre.

Quelques minutes plus précieuses que toutes mes années vécues.

Prince des Nuages [DabiHawks]Where stories live. Discover now