19 Septembre

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Curieux, je passai ma tête par la fenêtre de ma chambre pour épier la ruelle en contrebas. Lorsque Selena venait à la maison, c'était par cette petite rue qu'elle passait, car elle disait que c'était plus court.

Non pas que je l'espionnais... Mais elle avait déjà cinq bonnes minutes de retard pour notre cours de tutorat, ce qui ne lui ressemblait pas. J'eus craint, l'espace d'un instant, qu'elle ne viendrait pas du tout. J'avais même hésité à lui envoyer un message. Cependant, j'aperçus une tâche rousse débouler dans la rue. Elle était là !

Cela me laissait juste le temps de dévaler les escaliers pour aller ouvrir la porte d'entrée avant qu'elle ne se présente au portail. 

C'était la deuxième séance depuis que nous avions recommencé les cours. Le mercredi précédent, j'avais eu droit à un vrai cours : pas d'interrogatoire, de jeu, ou de séance de psy. Un cours d'histoire "façon Selena", comme elle disait (c'est-à-dire en moins ennuyeux qu'un vrai cours) ; ce qui m'avait, je pense, aidé à mieux comprendre.
Elle revenait donc, deux jours plus tard, apportant avec elle l'idée laborieuse de me faire aimer les maths...

J'avais en plus réalisé quelques nouveaux dessins de la mésange, qui était revenue réclamer à manger sur le rebord de la fenêtre. J'avais hâte de les lui montrer. 

Je commençais à prendre goût à ses cours. Elle emplissait la pièce d'une relative bonne humeur... Oui, il était difficile d'affirmer une super ambiance lorsque nos conversations se limitaient à l'usage du théorème de Pythagore.
Cependant, elle avait un don pour amener ces sujets-là avec humour, et sans prise de tête, ce qui me plaisait.

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— Allez ! C'est tout pour aujourd'hui ! dit-elle en fermant le manuel d'un geste satisfait.

— Quoi ? Déjà !? Mais je suis même pas sûr d'être au point sur tout ces calculs avec les "x" et tout...

— Tu t'en sors très bien, affirma-t-elle pour me rassurer, c'est cool d'être motivé comme ça mais il est déjà 19 heures...

— Bon ok... Je te raccompagne jusqu'au portail alors.

Elle ferma son sac et descendit les escaliers, moi sur ses talons.

— Dépêche-toi, me taquina-t-elle, sinon je vais demander à être payée en heures sup... !

— Je ne te paye même pas ! rétorquai-je, entrant dans son jeu, Je pensais que tu faisais ça juste pour le plaisir de passer du temps avec le meilleur élève que tu n'as jamais eu.

— Pfff... C'est ça ! On en reparle dans quelques mois !

— Hé !

Je lui ouvris le portail, elle me dit au revoir rapidement, me souhaitant un bon week-end. Je me retournai, songeant alors que la séance était passée à une vitesse folle... Cependant j'entendis la voix de ma tutrice qui m'appelait frénétiquement, faisant chemin inverse pour revenir auprès du portail.

— T'as oublié quelque chose à l'intérieur... ?

— Non t'inquiète, j'allais oublier : ça te dirait de t'inscrire avec moi au club de théâtre du collège ? demanda-t-elle de but en blanc.

— Un club de théâtre ? T'es sérieuse ? Non, non, pas pour moi ce genre de trucs, répondis-je d'une moue dégoûtée.

Je vis à son visage que ce n'était pas le genre de réponse à laquelle elle s'attendait. Elle insista : 

— Roooh... Allez ! Je parie que t'as jamais essayé ! 

— Oui en effet... et je pense que c'est pour une bonne raison.

Elle appuya ses coudes sur le muret qui séparait mon jardin de la rue et me lorgna, depuis l'autre côté, cherchant vainement à me convaincre.

— Tu pourrais faire de nouvelles rencontres ! La troupe a l'air trop sympa, ça te fera du bien de rencontrer d'autres personnes.

Elle marquait un point.

— Non mais ça va me prendre du temps et tout... Tu vois avec le tutorat c'est déjà beaucoup d'efforts en plus des cours...

Dans un sourire malicieux, elle énuméra, sûre d'elle :

— Ok, mais comme tu passes tes soirées à dessiner des oiseaux... j'estime pas que tu puisse dire que tu sois réellement overbooké. Et puis, le théâtre c'est le mardi soir, après les cours, seulement une heure et demie par semaine. Ça compromet pas les cours de tutorat et ça fera ça de moins à t'ennuyer. Et puis c'est pas comme si tu connaissais personne, vu que je serai là !

À cours d'argument, je fus à deux doigts de me laisser convaincre. Elle m'avait piégé.

— Pourquoi moi ? T'as qu'à demander à Paulo.

— Je l'ai déjà convaincu de s'inscrire au club échecs le jeudi soir avec moi.

— Attends, quoi !? Paul ? Des échecs ? Mais c'est quoi au juste ton super pouvoir ? Tu lui as proposé de la bouffe en échange, c'est ça ?

Elle me nargua d'un rire victorieux.

— La force de persuasion !

Dans un soupir, je craquai :

— Bon ok, ça marche, je t'accompagne à la séance d'essai mais si ça ne me plaît pas, t'as pas le droit de me forcer. D'accord !?

— Super ! Entendu ! Merci Elim ! 

— Et t'emballe pas, hein !? Rappelle-toi que j'ai pas accepté de mon plein gré !

— Bien chef ! me dit-elle dans un geste comique. Tu ne le regretteras pas ! Allez, salut, on se voit lundi !

Elle se retourna joyeusement et s'engagea rapidement dans la rue, comme si elle craignait que je ne la rattrape et change d'avis.

C'était quoi ça ? Je n'y croyais pas, elle avait eu gain de cause. Elle avait réussi à me convaincre d'aller visiter un club de théâtre... et plus étonnant encore, de rencontrer des gens...
Elle avait décidément une sorte de pouvoir qui transformait mon cerveau en guimauve.

Mais bon, relativisons : une séance. Je l'accompagnais à une séance, et je déclinais. Ça n'allait pas me tuer !

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Sous les ailes des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant