28 Juin

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La semaine de révisions touchait à sa fin.
Après avoir confié à mes amis ce qu'il s'était passé le soir de la fête de la musique, nous avions convenu que je ne viendrai plus aux rendez-vous dans le parc. Savoir Selena absente de notre groupe me confrontait à chaque fois davantage à mes états d'âme. Mes amis l'avaient compris : il m'envoyaient chaque jour des messages pour prendre de mes nouvelles et essayer de me remonter le moral.
Il étaient si gentils...

Quant à Selena, et ne voulait toujours pas me parler. Elle ne répondait pas à mes messages, bien que je savais pertinemment qu'elle les avait vus. Je restais alors parfois assis à côté de mon téléphone, en attente d'un miracle, peut-être.

J'avais dû me rendre à l'évidence, cela n'arriverait jamais.

Elle ne répondait pas non plus à mes amis. Elle avait simplement décidé de ne plus donner signe de vie.

J'aurais seulement voulu savoir, au moins, qu'elle allait bien.
Se renfermer sur elle-même de la sorte ne lui ressemblait pas du tout. Elle devait être terriblement triste... et je ne pouvais rien faire pour y remédier.

Assis dans ma chambre, à même le sol, au milieu des fiches de révisions, je ne parvenais pas à penser à autre chose qu'à elle.
J'étais seul au moment même où nous aurions dû nous soutenir mutuellement. J'avais besoin d'elle en tant que tutrice, mais surtout en tant qu'amie... et même plus que cela encore. Nous n'avions pas fait tout ce chemin pour qu'elle me laisse tomber.

J'entendis du bruit derrière la fenêtre. Je sus que ce n'était pas le vent. Il faisait trop sec en ce moment. Je relevai la tête.

C'était la mésange.

Cela faisait un long moment que je ne l'avais pas vue.
Je me levai et allai ouvrir la fenêtre.

— Désolé p'tit gars, j'ai rien à te donner aujourd'hui, dis-je à l'oiseau.

Il inclina légèrement la tête sur le côté, me regardant toujours, dans un petit air interrogatif. Il ne comprenait pas, mais ne sembla pas avoir l'air de vouloir partir pour autant.

Je soupirai.

— Tu sais, la fille qui venait ici souvent... et à qui je montrais les dessins que j'avais fait de toi... elle ne veux plus me voir.

La mésange poussa un petit cri mélodieux.

— C'est de ma faute... et en plus je ne sais même pas pourquoi je t'en parle à toi, t'es qu'un oiseau, tu peux pas comprendre...

C'est alors que la mésange s'envola, cependant c'est vers ma chambre qu'elle se dirigea. Elle n'avait jamais franchi le seuil du rebord de la fenêtre auparavant.

— Hey ! Non ! Sors d'ici !

Elle alla se poser sur mon étagère, poussant encore des petits cris suraigus. J'agitai ma main à côté d'elle, essayant de l'intimider pour qu'elle ressorte par la fenêtre.

— Allez ouste ! Tu peux pas rester là !

Cela n'avait aucunement l'air de l'effrayer. Elle me regardait toujours, inclinant la tête de droite à gauche, paraissant s'amuser de moi.
Pour un oiseau, elle était drôlement peu farouche. 

Je le fixai un instant, les sourcils froncés, comme par confrontation. 

Je réalisai alors qu'elle se tenait sur le journal de ma mère.

Quelques secondes s'écoulèrent sans que ni moi, ni l'animal, ne bougions. 
Puis la mésange s'envola, repartant par la fenêtre où elle était entré. 

J'attrapai le journal, et le regardai, craintivement, de peur que l'oiseau ne l'ait endommagé avec ses griffes. Ce qui, heureusement, ne fut pas le cas.
Dans la lumière vive que projetaient les rayons du soleil à travers la fenêtre, les coutures dorées du journal étaient plus étincelantes encore et le rouge de la couverture de cuir prenait une teinte grenat, que je m'émerveillais à redécouvrir à chaque fois.
Je me rendis compte qu'il était poussiéreux. 

Il était vrai que je n'y avais pas touché depuis que Selena l'avait trouvé, lors de l'une de nos premières séances de tutorat. Je l'avais mis ici en haut de l'étagère pour le protéger. 
Pour protéger ce qui me faisait alors office de jardin secret.
J'avais alors l'impression que cela faisait une éternité que je ne l'avais pas tenu entre mes mains, je n'arrivais pas à croire que cela puisse faire si longtemps que je ne m'étais pas perdu dans l'admiration de cet objet. Le seul qu'il me restait d'elle.

La contemplation du carnet de ma mère m'emplit instantanément d'une profonde mélancolie. Je me sentais plus seul que jamais. 
Elle n'aurait pas aimé me voir si triste, et si elle avait été là, elle aurait su me donner la force pour continuer d'avancer. 

Quand elle nous avait quittés, j'avais eu le sentiment que l'on m'avait abandonné. 
Ce n'était pas le cas, je le savais ; mais je n'étais jamais parvenu à me débarrasser de ce sentiment pesant. Il était toujours resté terré quelque part, au plus profond de moi.

Et cette année, après avoir rencontré Selena, j'avais l'impression que cette tristesse s'était quelque peu estompée. Elle était toujours là bien sûr, mais sa présence la rendait un peu plus facile à supporter.
Alors, quand elle s'était enfuie, j'ai eu comme l'impression d'être abandonné à nouveau, avec le sentiment désagréable que je ne pouvais rien faire pour lutter contre toutes ces absences qui me rongeaient peu à peu.

J'en avais marre d'être lâche.

D'être le spectateur. Le figurant.

Les larmes coulèrent sur mes joues, presque sans que je ne m'en rende compte. Mes mains tremblaient sur la couverture de cuir rouge. 
Je ne voulais plus avoir peur. 

Je serrai le journal contre ma poitrine, sanglotant toujours, et attrapai sur mon bureau une paire de ciseaux. 

Dans une impulsion, j'appuyai, du plus fort que je pus, les lames aiguisées sur le minuscule cadenas qui le maintenaient clos. 
Je m'étais si souvent interdit de le faire. Par crainte. 
Mais désormais je voulais savoir.

Ouvre-le.

Toutes les histoires d'Anges que ma mère m'avaient laissées, je voulais les redécouvrir à nouveau entre ces pages, pour combler le vide qui se réinstallait peu à peu au fond de moi.

Coupe !

Je coupai.

Je l'avais fait. J'avais réussi. C'était si simple, finalement. 

Je pris un instant encore pour considérer le cadenas brisé, tombé à mes pieds et le journal encore clos entre mes mains, désormais libre d'accès.

J'avais la respiration haletante. Les larmes ne cessaient plus de dévaler mes joues. 

Délicatement, je l'ouvris, retenant mon souffle, craignant presque de l'abîmer rien que par le seul fait de respirer. 

La première page était blanche.

La seconde aussi. 

La suivante aussi. 

Et celle d'après aussi. 

Le cœur battant, je feuilletai, de plus en plus vite, toutes les pages du carnet.

Toutes blanches. 

Le livre était vide. Entièrement vide.
J'avais passé plus d'un an et demi à garder précieusement un carnet vierge.

C'était un cauchemar...

Mais ce fut alors qu'un détail attira mon attention. 

Tout en bas, sur la dernière page, une phrase, minuscule, était inscrite d'une écriture belle et serrée. Je reconnus immédiatement  l'écriture de ma mère. 

Les mots s'imprégnèrent instantanément en moi. Comme l'écho qui me manquait.

" À toi d'écrire ta propre histoire... "

Presque malgré moi, je souris.

La réponse avait toujours été devant moi. 

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Sous les ailes des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant