Échec de l'Omertà

Chapitre II : Eredi della vendetta

- IAGO

J-3 avant mon départ pour le New Jersey.

Allongé sur mon lit, je me laisse absorber par la tranquillité de l'instant, un rare moment de calme dans le chaos qu'est ma vie. Les sons lointains des oiseaux qui gazouillent et le mouvement des rideaux, animés par une brise légère portant l'essence des fleurs d'oranger, remplissent ma chambre.

C'est dans ce havre de paix, cette pièce où je me sens véritablement chez moi, que je trouve un semblant de sérénité, loin des exigences et des dangers constants de mon existence.

Je romps ce bref moment de tranquillité pour me lever et allumer une cigarette. Je tire une longue bouffée avant de me diriger vers mon bureau. Là, l'enjeu de ma mission me revient en pleine conscience. Mon objectif est sans équivoque : infiltrer la vie d'Alessia De Luca pour extraire des informations directement à la source.

Grâce à l'influence de mon père et à quelques manipulations bien placées, j'ai sécurisé ma place dans la même université qu'elle, exploitant les faiblesses du directeur des admissions, un homme facilement corruptible par la cocaïne et prostituée de luxe.

Je parcours le dossier une dernière fois, repassant chaque détail, chaque fragment d'information que nous avons pu rassembler sur Alessia et sa famille.

Côté familial, ses parents ont divorcé alors qu'elle n'était qu'une enfant de quatre ans, un événement qui a sans doute modelé une partie de son caractère et de sa vision du monde. Sa mère, une infirmière dévouée travaille dans un hôpital psychiatrique,  et vit dans une modeste maison en banlieue, non loin de l'université.

Cette configuration familiale, tellement éloignée des clichés de notre "organisation" et pourtant si centrale dans notre stratégie, me fournit un angle d'approche inattendu, une voie d'infiltration moins gardée.

Côté scolaire, elle s'est orientée vers des études en droit des affaires, excellant particulièrement dans les domaines du droit des sociétés et des entreprises. La photo de son dossier universitaire la révèle sous les traits d'une brune aux lignes fines, arborant un sourire qui pourrait faire chavirer n'importe quel cœur.

"C'est vraiment dommage. Dans d'autres circonstances, j'aurais peut-être envisagé de l'inviter à dîner, pour ensuite la savourer comme dessert."

Son engagement dans des activités extrascolaires semble limité. Elle a rejoint le club Amnesty International et pratique le jogging à proximité de l'université, une routine presque banale pour quelqu'un issu d'un milieu aussi complexe et dangereux que le sien.

"Comment peut-elle se contenter d'une vie si ordinaire, elle qui descend d'une lignée d'affranchis ?"

Après avoir rassemblé toutes les informations nécessaires, je jette le reste de ma cigarette et me dirige vers le bureau de mon père, prêt à y récupérer les derniers documents de voyage.

Dès mon entrée, je suis saisi par l'intensité des murs peints en rouge profond qui encadrent la pièce, un décor qui captive immédiatement le regard. Au coeur de cet espace, se dresse un bureau en acajou massif, jonché de papiers, de photographies et d'objets personnels. En face, un fauteuil en cuir noir, à la fois majestueux et intimidant, m'invite à m'asseoir. 

Les étagères qui longent les murs regorgent de dossiers volumineux et de tomes anciens. Ils évoquent les conflits traversés, les alliances nouées et les trahisons endurées. Au milieu de ce sanctuaire, une photographie de Nonno Gio et de mon père, jeunes et insouciants, occupe une place d'honneur.

Le destin a basculé avec l'assassinat de mon grand-père, commandité par les De Luca, un tournant tragique survenu alors que ma mère portrait encore ma vie en elle. Cet acte barbare a été le signal d'une vendetta sanglante qui a plongé notre famille et ses alliés dans une décennie de guerre froide et brutale. La perte de mon grand-père a marqué non seulement un deuil intime mais aussi le début d'une lutte sans merci pour l'honneur et la rétribution, dressant les Maurizio et la Camorra contre les De Luca et leurs partisans de la Cosa Nostra sicilienne.