IV. Retourner au désert

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Lorsque Katalina entama sa quatorzième année, Idran la jugea suffisamment grande pour lui apprendre deux-trois choses. Il n'en parla à personne et renvoya même ses fils lorsqu'il l'appela à la forge. Bien que ceux-ci lui aient appris à se servir d'une fronde, le neveu de Zila trouvait que le résultat n'était pas convaincant.

Durant une heure, le forgeron fit tester à la jeune fille toutes armes ou outils qu'elle pourrait utiliser pour se défendre. De cette expérience, il en déduisit qu'il lui fallait fabriquer autre chose. Quelque chose de léger, qui ne demandait pas beaucoup de force, ni n'avait besoin de temps pour être prêt et surtout, qui laissait une main libre, « au cas où ». Pour l'instant, le lance-pierre était la meilleure solution. Bien qu'il ne s'utilise qu'avec deux mains, il répondait à toutes les autres conditions. Contrairement à la fronde qui bien qu'utilisable à une main et ne requérant guère beaucoup de force, avait besoin d'un peu de temps avant que la pierre ne quitte la lanière de cuir. Ce n'était pas non plus précis. Dissuasif, certes, mais à condition d'être à une certaine distance.

L'artisan laissa ensuite sa forge à ses fils pour s'enfermer dans sa pièce, devant une tablette remplie de sable fin. Au bout de quelques jours, il fit mander l'un de ses neveux, gendre du tanneur, afin de réfléchir ensemble.
Quand enfin ils se décidèrent, Idran ne quitta plus son soufflet. Très rapidement, il fit l'alliage de métal qui serait la base de l'arme. Un alliage léger, utilisé pour les brouettes ou les charrues et qui n'avait pas vraiment de nom. Néanmoins, il était propre au désert du fait de ses composants.

Lorsque son travail fut terminé, après plusieurs semaines, le tanneur apporta la touche finale et ils le testèrent. Ils le modifièrent en conséquence mais malgré leur travail, ils n'arrivaient pas à régler tous les problèmes. Enfin, l'arme créée restait un petit bijou de technologie. Une fois les essais suffisamment concluants, Idran rappela Katalina pour lui faire essayer.

La prise était un peu large mais cela ne la dérangeait pas. Elle était déjà touchée d'avoir une arme à et pour elle. Un premier mécanisme, au niveau du pouce faisait tomber une bille sur une petite plate-forme. Celle-ci était reliée à une lanière un peu élastique, tirée en arrière grâce à un deuxième mécanisme. Et relâchée par un dernier. Ces deux derniers rouages étaient enclenchés au niveau de l'index, grâce à un point de pression. L'inconvénient de cette arme était qu'il fallait qu'elle soit droite, parallèle au sol, pour que la bille de fer sorte correctement.

Dès la première semaine, Katalina en fit bon usage et la traita comme son trésor le plus précieux. Malheureusement la jalousie de Lico ne fit que grandir alors qu'Idran refusait d'accéder à ses demandes. Il avait environ dix-huit ans, mais il n'avait fait que prendre de l'âge et devenir chaque jour un peu plus mauvais.

Par un beau matin, il incendia la maison de Zila, sans se soucier des occupantes. La grand-mère avait perdu son odorat, mais son Instinct lui ordonna de sortir. Tout comme le ressenti Katalina.
Les villageois s'empressèrent d'éteindre le feu. Il était inconcevable par ailleurs qu'il s'agisse d'un acte criminel.

Néanmoins, Katalina changea. La flamme de ses yeux s'était assombrie, et pour l'avoir déjà vue chez sa mère, Zila savait ce qu'elle préparait. Elle prévint ses neveux et encore, ils se préparèrent pour son départ. Les femmes se mirent à tisser de plus belle, les hommes offrirent leur service au chamelier, Idran retourna dans son atelier. D'ailleurs, la jeune fille lui avait demandé quelques armes qu'elle pouvait utiliser. Quelques uns de ses cousins avaient même accepté de se battre avec elle, en utilisant des bâtons, des poings ou des lance-pierres.

Katalina n'était pas naïve au point de se lancer seule dans le désert, à la merci des bêtes et d'humains malintentionnés. Elle savait que seule, elle était une proie facile. Elle ignorait jusqu'où était allé Saul. Peut-être était-il même allé jusqu'aux Régions Montagneuses. Savoir se défendre et se battre était indispensable pour se lancer dans l'inconnu. La fillette n'avait pas peur. Elle avait passé une bonne partie de son enfance à vagabonder dans le Désert, ce n'était qu'une forme de retour aux sources. Bien qu'elle n'y soit jamais allée, elle avait entendu des histoires et rencontré des gens des Plaines Verdoyantes et Habitées. Si y aller l'aidait à retrouver les traces de son père, elle ne reculerait pas. Elle n'avait pas vraiment d'espoir de le retrouver en vie, mais savoir ce qui lui était arrivé lui était suffisant.

Grâce à l'effort de ses cousins, le chamelier accepta de leur donner l'une de ses bêtes. Zila le confia à son unique petite-fille afin que les deux apprennent à se connaître. Le gendre du tanneur s'occupa de l'équipement nécessaire à son voyage. Aucun mot à ce propos n'avait été prononcé. Seul le sentiment dominait l'atmosphère.

Quand elle ne se battait pas, Zila prenait Katalina avec elle et lui enseignait tout son savoir. Elle se fichait de gaspiller des ressources tant que sa petite-fille apprenait la broderie, en particulier les motifs de la plus âgée et de sa mère. Ce n'était que de cette manière que la plus jeune pourrait à son tour créer le sien, qui permettrait à ses proches de présenter ses enfants.

Cela lui demanda une année. À l'issue de celle-ci, elle prit le beau voile de sa grand-mère et y broda son motif. Juste en dessous de celui de sa mère. Zila n'avait plus de raison de la contenir dans ce village qui ne l'aimait pas. Aussi, le surlendemain Katalina prit ses affaires, s'enveloppa de son nouveau voile vert dont les bordures étaient brodées d'une série de trois motifs représentant sa grand-mère, sa mère et elle-même et s'en alla à l'aube.

Sa famille s'était levée très tôt pour l'aider dans son départ. Quand le village s'éveilla, la flamboyante brunette était déjà partie sans un mot. Comme l'avait fait son père quelques années plus tôt, la fillette retourna en direction du dernier village qu'elle avait traversé, enfant.

À cette même date, quatorze ans plus tôt, Katalina voyait le désert pour la première fois. Mais cela seul son père aurait pu le savoir étant le seul Homme du Désert à garder la trace des jours.

Katalina : La voix du DésertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant