La fille normale

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⚠️Attention suicide⚠️


Dans une maison normale, derrière la porte d'un grenier normal, se tenait une adolescente normale. Son apparence était normale, banale. Un corps normal, des cheveux bruns normaux qui retombaient sur des épaules normales, des yeux bleus normaux qui fixaient l'obscurité normale. Et pourtant ici allait se dérouler un drame qui était tout sauf normal. Debout en équilibre sur des cartons, elle fixait le noeud coulant d'une corde qu'elle avait dans les mains, presque hésitante.

Pourquoi allait-elle faire ça ? Tout allait bien pourtant. Elle avait des amis, une famille aimante. Elle était libre et ne manquait de rien, avait même été trop gâtée. Investie à l'école d'où elle ramenait de bonnes notes. De petites disputes habituelles avec sa sœur, mais aussi bien des rigolades. Une adolescente heureuse, drôle, intelligente, souriante, gentille, attentionnée, polie avec ses professeurs et serviable avec tout le monde, quelqu'un qui faisait de son mieux pour ne jamais se plaindre mais qui pourtant ne manquait pas de caractère. Quelque chose de contradictoire je vous l'accorde mais elle s'en accommodait. Alors pourquoi s'apprêtait elle a mettre fin à ses jours ? D'où venait donc ce poison ? En réalité il venait d'elle même.

Elle voulait toujours avoir raison, était têtue et avait une peur immense de l'échec. Elle était anxieuse, stressée, blessée. Blessée par sa fierté, blessée par le manque de confiance, les critiques, les échecs. Quelqu'un avec des défauts, comme tout le monde, quelqu'un de pas si différent des autres. Et pourtant... Pourtant rien n'allait dans sa tête. Elle avait l'impression de devoir être parfaite, de ne pas avoir le droit à l'erreur. L'impression qu'à chaque fois qu'elle faisait le moindre faux pas, une multitude d'ennuis lui tomberaient tôt ou tard dessus. Des cris, des engueulades, des problèmes qui ajoutaient du stress et de l'anxiété à ses émotions chaque fois qu'elle faisait plus ou moins quelques chose de travers.

Malgré tout, elle continuait de sourire, de faire comme si tout allait bien. L'école et ses examens lui faisaient peur, la détruisant mentalement, renforçaient la pression psychologique qu'elle exerçait sur elle-même. Chaque note presque en rajoutait une couche, lui donnait toujours plus l'impression de ne rien valoir alors même que les notes n'étaient pas mauvaises. La pression s'aggravait toujours plus, l'anxiété montait et les crises de stress étaient devenues de plus en plus fréquentes. Les problèmes des autres étaient devenus les siens. Elle s'inquiétait toujours plus pour eux. Sa mère en pression devant le travail qui la surchargeait, son père qui perdait des proches, sa sœur qui se disputait avec ses amis, les siens qui n'était pas au top de leur forme mentale.

Ne pouvoir les aider, régler leurs problèmes, la peur de ne pas être assez présente pour eux, l'impression de ne pas être assez intelligente, assez inventive, avoir assez de capacités pour les aider. Tout ceci là rendait folle, la rongeait de l'intérieur.

Plus elle grandissait, plus ça empirait. Elle réfléchissait toujours plus, réfléchissait toujours à ce monde et une tempête se bousculait dans sa tête. Elle perdait goût à la vie, perdue dans ses questions, questions qui lui pourrissaient l'esprit.

Sa confiance en elle avait été martelée de coups, brisée, exterminée. Elle ne pouvait dresser aucun portrait mélioratif d'elle même, n'arrivait pas à être objective. Chaque action qu'elle entreprenait lui faisait peur, chaque fois qu'elle essayait quelque chose, son esprit créait une alternative mentale, imaginait une catastrophe suite à cette action. Chaque fois qu'elle tenait une tasse, elle s'imaginait la laisser tomber. Chaque fois si elle parlait à quelqu'un, elle s'imaginait lui dire quelque chose de mal. Elle vivait dans une angoisse constante.

Ses doigts passèrent à nouveau sur la corde tandis qu'elle pensait à ses amis. Ceux qu'elle avait connus, ceux qu'elle avait perdus. Elle s'interdit de pleurer. Elle repensa à un ami d'enfance. Ce garçon qui avait été comme un frère pour elle. Ils s'étaient éloignés depuis. En y repensant, le poids de la culpabilité s'alourdit. Une tempête émotionnelle menaçait son esprit. Pendant qu'elle passait la corde autour de son cou, elle repensait à ses proches, ceux qu'elle allait laisser derrière. Ils seraient tristes bien trop tristes.

Durant quelques secondes, elle songea à renoncer. Elle ne voulait pas causer de chagrin à ses proches, une petite lueur de clarté dans l'obscurité.

Clarté inutile. Les souvenirs revinrent la hanter, la noirceur retourna l'habiter. Sa lettre était convenablement rédigée. Elle espérait que les adieux suffiraient à les consoler. Cette fois elle était égoïste. Avant de perdre courage, elle ferma les yeux, serra les dents et lâcha une ultime larme.

Les cartons basculèrent, libérants une multitude de vieux clichés qui s'éparpillèrent au sol. Ces derniers représentaient la jeune fille et ses proches, heureux et souriants. Sur certains ils grimaçaient, sur d'autres ils riaient. Un sourire, le sourire enchanteur de cette jeune adolescente, un sourire qui n'était plus. Le chant cardiaque avait poussé sa dernière note, achevant son ultime partition. Elle était légère à présent, partie, libérée.

Un matin, une mère vint, comme tous les jours, réveiller sa fille pour aller à l'école. Mais quelque chose était différent de tous les matins. Le lit était seul, froid, vide. S'en suivit une multitude de course et de cris, mettant toute la maisonnée à profit. Des recherches acharnés mais elle était introuvable. Ils pensaient à une fugue, étaient inquiets, mais la réalité était bien pire.

En ouvrant la porte du grenier, poussée par le désespoir, la mère tomba sur une bien triste scène. Des cartons, du bazar, une corde, une lettre, un cadavre.

Elle tomba au sol, poussant un râle de douleur pure. Elle aurait beau relire la lettre, regarder les photos encore et encore, sa fille n'était plus, partie à tout jamais. 

Recueil de nouvellesWhere stories live. Discover now