Mylène

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Ma chère Mylène.

J'ai beau espérer que ma babillarde te parvienne, qu'elle ne sera pas interceptée, je ne me voile pas la face. Car oui, la rumeur tourne, elle commence à courir parmi les soldats. Nos lettres, celles qui ne conviennent pas, qui ne suivent pas l'image donnée par la propagande, sont interceptées, censurées.
Malgré ce risque, je ne peux pas te dire que tout va bien, faire comme si l'horreur n'existait pas. J'essaye de me raccrocher à l'espoir, cette lueur dans l'obscurité. Mais ce luxe nous à lui aussi abandonné.
Pourtant, il renait lorsque je lis tes babillardes, tes doux mots. J'ai l'impression qu'à la seconde où je les parcoure, les problèmes s'envolent. Plus de Boches, plus de pétoire, plus de machines à découdre, c'est la fin de la riflette.

     J'ai toujours hâte que tu m'écrives, j'attends chacun de tes cubes, chacune de tes missives, ces mêmes lettres que je relis chaque jour. J'en oublie les horreurs, les cadavres, les bouts de chairs. Plus de boyaux, plus de grivetons morts ou vifs.

Je suis à nouveau en première ligne. Les bombes et les balles volent au-dessus de nous, dans les tranchées, nous empêchant de dormir. Le moral est au plus bas, la fatigue se fait sentir. Mais malgré tout, ce matin, j'ai trouvé avec mes camarades un ingénieux système pour nous protéger de ces satanés gaspards. Enfin, peut-être, les rats nous laisseront tranquilles.

Hier, nous sommes partis en expédition pour forcer les tranchées allemandes. Ces sales huilés n'ont toujours pas compris que ces manœuvres sont vaines.
Jean est mort. Je suis désolé, désolé de te l'annoncer ainsi, désolé de ne pas l'avoir protégé comme je te l'avais promis, désolé que ton frère soit mort, abattu par une balle Boche.
Une explosion nous a surprises : une sale marmite nous est tombée dessus. Puis le coup est parti. Il était juste devant moi, à l'extérieur de ce trou à rats. Juste devant moi et abattu d'une balle dans la tête. Sa cervelle a éclaté, projetée sur mon uniforme. Il a hurlé. Il est tombé. Mort. Mais elle n'était pas douloureuse, contrairement à celle de centaines de mes camarades. Il n'était pas le seul à crier, saigner, mourir.
On a dû laisser son corps. Je suis tellement désolé de n'avoir pu le ramener. Trop de cris, trop de sang, trop de mort, trop de danger. L'enfer. Pardonne-moi ce blasphème, mon Dieu, mais il n'y a pas d'autre mot pour décrire ce champ de bataille. Un enfer sur Terre. Je n'en peux plus, je n'arrive plus à continuer. Je ne peux plus rester positif, je ne peux plus relativiser.

Au diable le patriotisme !! Le moral est au plus bas, plus personne ne veut continuer. La mutinerie est proche, nous ne supportons plus les batailles inutiles, nous ne supportons plus Verdun, nous ne supportons plus la mort de nos camarades. Je vais devenir fou, Mylène, aide-moi, je t'en supplie. Dis-moi que tu vas bien, écris-moi, raconte-moi. Je donnerai tout pour pouvoir te prendre dans mes bras, obtenir une nouvelle permission.
La folie m'emporte. Si tu savais tout ce que je voyais, tout ce qu'il se passait. Je voudrais te le décrire, peut-être que je devrais. Mais il y a tellement de choses, trop de choses. Tu ne mérites pas d'en entendre autant. Ma Mylène, ma femme, mon ange. Je t'aime, je t'aime plus que tout. Je t'aime quoi qu'il arrive, quoi qu'il advienne. Je ne sais pas si je survivrai à la boucherie qu'est Verdun, je ne sais pas si je pourrai un jour revoir ton doux regard. Peut-être est-ce la dernière lettre que je t'écris. Peut-être qu'elle ne te parviendra jamais. Je t'aime, je pense à toi sans arrêt. Tu es mon seul pilier, mon seul roc, mon seul espoir, ma seule joie. Que je revienne ou pas, je n'aurais jamais cessé de t'aimer comme je t'aime.

Bien à toi, ton mari, William.

Recueil de nouvellesWhere stories live. Discover now