Chapitre 26: La malle

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            Geselle se força à sourire en saluant son dernier client de la journée. Depuis sa dispute avec Thadeus, il n'avait pas pris la peine de lui dire au-revoir. De revenir pour lui dire qu'elle se trompait. Lui avouer que sa déclaration était sincère et que rien, ni même le danger qu'encourait ses sœurs n'était à l'origine de son discours.

Elle éteignit la lumière de la grande salle et partit dans l'arrière-boutique, le cœur lourd et les yeux mouillés. Elle observa quelques minutes le trèfle à quatre feuilles qui était bientôt prêt. Elle le contempla, lui qui faisait toute sa fierté. Elle était la première sorcière verte à l'avoir cultivé depuis bien des années. Elle touchait au but. Alors pourquoi ne s'en satisfaisait-elle pas ? Pourquoi ce manque persistait à la grignoter de l'intérieur ?

Elle finit par sourire en croyant entendre le rire de celui qu'elle désirait. Elle se moqua d'elle-même d'être si fleur bleue. Cet homme avait pris racine dans la moindre veine, la moindre parcelle de peau. Il fallait qu'elle se fasse à l'idée. Jamais il ne disparaitrait. Mais le rire qu'elle pensait imaginaire retentit une fois encore. Elle fixa la porte de l'appartement que partageait l'arrière-boutique. Elle souffla sur la bougie près du terrarium et éteignit ses lampes à pétrole pour laisser son antre poussiéreux dans les ténèbres et son petit trèfle prendre ses forces dans l'obscurité.

Dans l'appartement son cœur remonta jusque dans sa gorge de voir Gary, les filles et Thadeus autour de la vieille table de la salle à manger, leurs verres posés sur la vieille nappe fleurie.

— La meilleure d'entre toute ! s'enjoua le grand-père en finissant son verre de gnaule cul-sec.

Thadeus se retourna légèrement, son verre à la main et la transperça du regard, le visage stoïque, encore plus beau sous la lumière de la vieille lampe halogène rose.

Geselle déglutit. Sa respiration se coupa. Le soulagement se fit si intense qu'elle ne préféra pas demander pourquoi ils étaient encore là. Après tout quelle importance ? Il était là et c'était tout ce qui comptait.

Alissia tapota sur la chaise vide à côté d'elle invitant la belle marginale qui avait détaché sa longue chevelure brune retombant en cascade sur ses épaules.

Alors qu'elle contourna la table, elle ne put s'empêcher de jeter un bref coup d'œil à son ami d'enfance qui ne la quittait plus des yeux.

Quelque chose était différent.

Quelque chose qui allait au-delà du simple fait de vouloir libérer ses sœurs.

Non.

C'était comme s'il avait prononcé une formule magique qui avait annihilé les remparts, les entraves, les obstacles qu'ils avaient, chacun, érigé l'un contre l'autre.

Elle s'assit au milieu des rires. Au milieu de ses visages juvéniles qui riaient à pleine bouche pour la première fois depuis longtemps. Le temps ralentit autour d'elle. Sa poitrine s'allégea. Gary, lui aussi souriait comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps. Puis ses yeux noisette vinrent se reposer sur le seul et unique qui faisait battre son cœur.

Thadeus Marley, son verre à la main, ses yeux rivés dans les siens. Des yeux qui montraient tout ce que la bouche ne pouvait dire.

Au milieu des rires et des anecdotes sympathiques, Cloé perdit le sien et repensa, sans savoir pourquoi, à cette petite tête rousse qui lui chatouillait les nerfs depuis leur rencontre. Elle se mura dans un silence soudain. Un silence qui passa inaperçu.

Claire n'était pas autour d'une table en train de rire et de manger des cookies. Elle devait sans nul doute être assise, seule dans sa chambre à regarder toujours ce même fichu dessin-animé. Ses sourcils se froncèrent de penser que la situation pouvait être même pire. Peut-être était-elle le souffre-douleur de cette vile sorcière qui passait ses nerfs sur elle ne les voyant pas rentrer.

La Malédiction des MarleyWhere stories live. Discover now