Antagoniste [YUNHO]

Chapitre 64

Il s'est écoulé plusieurs semaines depuis, et pourtant, rien n'a changé. Le temps, pour des êtres comme nous, vampires, ne suit pas les règles conventionnelles. Le simple "à bientôt" peut équivaloir à une semaine comme à une année entière. C'est ce qui est le plus oppressant, cette incertitude, l'inquiétude constante, le fait de demeurer sur nos gardes, l'attente perpétuelle, sans savoir quand l'enfer va s'abattre sur nous. Toujours être sur ses gardes, dans l'expectative, se demandant à quel moment tout va basculer.

Je mentirais si je prétendais ne pas douter de ma décision. Une angoisse persistante  me serre le ventre, nouant mes entrailles. La peur, insidieuse et lancinante, s'est installée en moi et ne me quitte plus. C'est une appréhension dévorante, cette peur terrifiante que mes choix puissent causer du tort à ceux qui m'entourent. Chaque option semble semée d'embûches où quelqu'un pourrait être pris pour cible à cause de moi. Mon esprit tourne en boucle, incapable de trouver le calme face à la responsabilité accablante de mes décisions. 

J'observe les garçons vaquer à leurs occupations, jonglant entre leur métier d'idol et leur entrainement: apprendre à se battre. Contre toute attente, Wooyoung se débrouille super bien. Ce qui n'est pas le cas de Jia, se reposant trop sur sa condition de vampire depuis tant d'années et mordant la poussière à chaque fois, au plus grand plaisir du petit loup. 

Mon regard polaire croise alors celui chaleureux de Yunho. Il sait pertinemment ce qui me tracasse. Il était étonnamment très perspicace avant tout ça, mais depuis que notre lien s'est encore plus approfondi, j'ai l'impression qu'il lit en moi comme dans un livre ouvert, même quand je pense ne rien laisser transparaitre. Et bizarrement, j'aime plutôt ça. D'une certaine manière, j'apprécie cette connexion accrue entre nous.
Un sourire éblouissant lui échappe, me faisant plisser les yeux. Qu'est-ce que je disais ! Rien ne lui échappe ! 

Et bien évidemment, comme à chaque fois depuis maintenant quelque temps, je ne peux retenir un sourire de fleurir sur mes lèvres en voyant le sien. C'est l'effet qu'il a sur moi, être insensible et sans cœur : je ne peux me retenir de sourire niaisement comme une adolescente, source de moqueries de la part de la vampirette et de ma sangsue de voisine humaine. 

Je décide finalement de les laisser à leurs routines et me dirige vers l'Eden Club, mon repaire. Et je n'oserai jamais l'avouer à voix haute, mais j'ai besoin des conseils de Blade. Il a toujours été présent pour moi depuis tous ses siècles et connais chaque facette de ma personnalité, y compris les pires. Lui seul peut comprendre les tourments qui m'assaillent et m'aider à y voir plus clair. J'espère aussi secrètement qu'il ait eu une vision de ce qui va suivre, afin de me préparer au mieux. Je refuse que d'autres personnes souffrent encore par ma faute, je ne le permettrai pas. 
Et puis ... les fans du groupe sont un peu flippants aussi il faut se l'avouer ! Si jamais un membre finit abimé à cause de mes histoires, je risque de finir empalée sur la place publique. 

Je pénètre dans le bar et m'installe à ma place fétiche, au comptoir. Toujours vacante. Blade m'a informée il y a plusieurs années que les gens avaient trop peur de moi pour oser "voler mon siège". C'est assez hilarant je trouve. 

J'attends tranquillement l'arrivée du patron pour me servir mon verre, lorgnant sur le tableau d'affichage. Il n'y a que ce genre d'endroits où peuvent se côtoyer des annonces pour un boulot de professeur d'histoire surnaturelle, de recherche de colocation "sans hurlement nocturne" ou encore de recherche de plombier pour réparer les toilettes. Mes yeux pétillent d'amusement. Je pense que pour la première fois en 998 ans, je me sens chez moi quelque part. A ma place. Et c'est assez enivrant je trouve. Comme si après tout ce temps, j'avais enfin trouvé l'autre pièce du puzzle qui me manquait pour enfin pouvoir m'intégrer et retrouver ma juste place. 

Un verre de vin rouge fait son apparition devant moi et je foudroie mon vieil ami du regard :
- Et bien, il y a du relâchement à ce que je vois ! 
- Ne m'en parles pas ma Lady, je suis O-VER-BOO-KE. Un de mes serveurs vient de se faire larguer par sa chère et tendre. Et pour un elfe, tu y crois toi ? 
Il secoue la tête de désapprobation et je me retiens de rire. Je vois bien que la situation le ravit, il vit pour les ragots. 

Puis il se penche vers moi avec un air de conspirateur. Qu'est-ce que je vous disais.
- Et dis-moi Minji ... toi et ton beau loup-garou ...? 
Il me lance un regard coquin et cette fois-ci je ne peux retenir un gloussement. Honte à moi. 
Je me contente de siroter mon verre tranquillement alors qu'il se met à me harceler pour avoir des informations croustillantes. Je ricane doucement dans mon verre, ravie de l'embêter un peu pour une fois, quand soudainement, mon instinct de vampire se réveille.

Je sens que quelque chose me tracasse. Un frisson glacé me parcourt l'échine. Comme si j'étais passée à côté d'un détail, mais je n'arrive pas à saisir quoi. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il m'a échappée ? Tous mes sens sont en alerte, ma vision brouillée. Quelque chose d'important m'échappe. De vital même. Mais quoi ? Une angoisse sourde me prend aux tripes. 

Blade semble inquiet alors qu'il me demande ce qu'il se passe. 

Et là, tout s'éclaire. En un éclair je me retrouve devant le panneau d'affichage, transperçant du regard le petit post-it orné d'un magnifique "A" écrit de sang séché. La nausée me saisit alors que je reconnais cette odeur entre mille. Et son propriétaire.