PROLOGUE | FIN DE COUPLE

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5 ans plus tôt

J'arrête de peindre et contemple le résultat, satisfaite. Une jeune fille me sourit tendrement, les bras levés, le dos cambré, suspendue au beau milieu d'un pas de danse, inconsciente d'être piégée dans une toile.

Je l'envie. J'aimerais tant, moi aussi, ignorer que je ne suis pas à ma place dans cette famille. J'aimerais tant pouvoir ôter le masque joyeux qui me colle comme un second visage pour pleurer ma peine, ma haine, ma solitude, mon incompréhension face à ma réalité. Je voudrais que toute la douleur qui me ronge s'envole.

Mon téléphone, posé sur une chaise à côté de moi, me signale un appel en entonnant à tue-tête « Godzilla » d'Eminem. Je tends le bras et l'attrape, puis regarde qui me contacte. Maman, indique-t-il.

J'avale ma salive de travers sous le coup d'un mélange de peur et de panique avant de me mettre à tousser. Mon téléphone en profite pour sauter de mes mains ; je me jette dessus pour le plaquer contre moi à la manière d'un joueur de rugby.

Je m'étale au sol et fixe le plafond. J'ai évité la catastrophe. J'attend un peu que le téléphone sonne dans le vide. Je dirais à ma mère que je n'avais pas vu son appel, et que j'ai oublié de la rappeler. Je ne veux pas lui parler, pas maintenant.

Je veux disparaître dans la peinture, jusqu'à n'être qu'un robot sans sentiments peignant inlassablement.

— Bonjour ma puce, comment ça va ?

La voix de ma mère résonne dans mon atelier de peinture. J'ai accepté l'appel en sauvant mon téléphone, et je le regrette désormais : il aurait été mieux de le laisser se briser par terre. Tout aurait été mieux que parler avec ma mère.

— Bonjour Maman, je vais bien, et toi ? je mens.

Ma voix tremble légèrement au mot « bien », et elle semble le remarquer. Foutu instinct maternel.

— Vraiment ? Tu ne serais pas en train de me mentir ?

— Non non ! je dis vite - trop vite. J'ai un rendez-vous avec un possible distributeur pour mes peintures dans peu de temps, alors tout va bien !

— Et Miguel ?

Entendre son nom me brise le cœur.

— Comment va-t-il ? enchaîne-t-elle. Il ne se noie pas dans ses études d'avocat ?

Le terme que mon interlocutrice emploie provoque en moi une douleur insoutenable.

— C'est un bon gars, ton petit ami. Franchement, tu ne pouvais pas rêver mieux ! Serviable, gentil, intelligent, travailleur... que de qualités ! Et, en plus, il n'a d'yeux que pour toi ! Alors, dis-moi : comment est-ce que ça avance ? Les bagues doivent être prêtes, quand vas-tu le demander en mariage ?

Ma mère se tait et attend une réponse qui ne vient pas. Je lutte désespérément pour respirer. Mes poumons ne fonctionnent plus, mon cœur ne bat plus. J'ai mal. Tellement mal. Mes pensées se brouillent.

Miguel... mon amour... mon seul amour...

— Jamais, je sanglote.

Mes larmes m'échappent et se glissent dans mon cou, jusqu'à toucher le sol.

— Quoi ? s'exclame ma mère. Il t'a quitté ? C'est impossible, vous étiez en couple depuis si longtemps... Il t'aime à la folie ! Ne t'inquiète pas, ce n'est qu'une petite dispute, comme dans tous les couples, il va vite revenir vers toi et-

— Il ne reviendra pas, je coupe, pleurant de plus en plus fort.

— N'en soit pas si sûre, ma puce ! Tu es une jeune femme formidable, il va forcément s'en rendre compte ! Je te parle d'expérience, les hommes-

— Maman, Miguel est mort.

Mes larmes forment une flaque autour de moi. Les souvenirs me submergent.

Ma rencontre avec Miguel, lors d'une soirée. Notre emménagement ensemble. Nos fous rires, nos désaccords.

L'identification de son cadavre, froid et bleu, à la morgue.

« Il a eu un accident de voiture. Un camion l'a percuté sur un pont, et son véhicule a plongé dans l'eau. » m'avait-on dit. Et, malgré moi, une question avait franchit mes lèvres : était-il conscient, à la fin ? « Oui. Il a essayé de se détacher, mais sa ceinture l'a retenu. » m'avait-on répondu.

Même plusieurs heures après avoir apprit la tragique nouvelle, je n'y croie toujours pas. Miguel allait débarquer dans mon atelier avec des gourmandises dans les mains, et on parlerait de tout et de rien jusqu'à l'aube prochaine.

La situation est irréelle.

Je n'arrive pas à l'accepter.

Miguel s'est noyé, emportant mon cœur, mon âme, ma raison de vivre avec lui.

TournesolWhere stories live. Discover now