Chapitre 35.1

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La vitesse, les vibrations de la moto, mon corps contre le sien... la sensation que je ressentais à cet instant envahissait tout. J'oubliai tout. J'oubliai l'homme sévère et dur qu'il était. Ses remarques blessantes. La peur qu'il m'inspirait à certains moments. Je respirai les fragments de son parfum que le vent me renvoyait tout en contemplant le paysage qui défilait sous mes yeux. J'aurai voulu que cet instant dur toujours. Il était doux de laisser croire que Diez apprécié autant cette balade que moi. Et dire que quelques minutes plus tôt je l'assassinais à coups de casque sur le crâne.

À chaque virage, chaque accélérerions, je me pressais machinalement contre lui. Son corps m'offrait un sentiment de protection. Le ciel était d'un bleu éclatant. Je levai parfois les yeux pour admirer les édifices, les clochers des églises qui pointaient vers le ciel et le sommet des palmiers qui se balançaient doucement.

Je n'avais pas peur. Je ressentais un réel sentiment de sécurité, de liberté. Une connexion totale de mon corps et de mon esprit.

Ma profonde sérénité s'envola lorsque j'aperçus au détour d'un virage, une grosse cylindrée blanche garée sur le parking d'un motel. Le véhicule avec une étiquette rouge à l'arrière ressemblait étrangement à celui de mon père. Je me redressai subitement.

— Arrête-toi ! criai-je à Diez.

Sentant que quelque chose n'allait pas, il freina brusquement et se gara n'importe comment sur le bas-côté de la route. Je descendis, enlevai mon casque et traversai la route à pas de course pour me rapprocher de l'établissement qui ne payait pas de mine.

Ce ne fut pas nécessaire de rentrer dans la cour ouverte pour lire le numéro sur la plaque d'immatriculation de la voiture. C'était bien celle de mon père.

— Tu fabriques quoi ?

La voix rude de Diez derrière moi m'arracha un hoquet de surprise. Je n'avais pas remarqué qu'il m'avait suivi. Je me retournai vers lui, l'air perdu. Il me regarda d'un air étrange.

— J'essaye de comprendre ce que la voiture de mon père fait ici, répondis-je d'une voix mal assurée. Nous sommes dans Los Pajaritos. Ce n'est pas un quartier qu'il fréquente.

Le visage de Diez changea. Une sorte de compassion imprégnait ses yeux, en contradiction avec son comportement habituel. Sans rien dire, il me donna la réponse. Une vague d'incertitude me submergea. Je secouai vigoureusement la tête refusant de croire à une telle explication.

— Non, ce doit être pour son travail ! murmurai-je en me retournant vers le parking du motel.

Oui, il y avait nécessairement une explication. Je sentis alors la main de Diez se refermer doucement autour de mon bras.

— Allons-y ! Ça ne sert à rien de rester là, dit-il d'une voix calme.

Impossible de convaincre mon corps de suivre ses ordres. Je dégageai mon bras et répondis sur un ton abrupt sans le regarder :

— Je veux savoir ce que fait cette bagnole ici ! Vas-y si tu veux. Je ne te retiens pas !

Je fermai les paupières. Il y a une explication, me répétai-je en boucle. Je tentai par tous les moyens de tenir éloignées mes pensées. Mon père ne pouvait pas être dans cette chambre de motel avec une autre femme. Et même si c'était le cas, ça ne pouvait être qu'une patiente qui avait eu besoin d'une aide d'urgence. En dehors de l'hôpital ? M'interrogea ma raison. Je rouvris les paupières. Étonnement, je sentis toujours la présence de Diez derrière moi. Visiblement, il avait décidé de m'attendre.

Soudain, je vis la porte du rez-de-chaussée s'ouvrir au loin. Le silence prit place autour de moi. Comme si j'avais pris un coup de poing dans l'estomac, ma respiration s'arrêta un bref instant. Un cocktail d'adrénaline et de trouille se répandit dans mes veines. La seconde d'après, la silhouette élancée d'une femme blonde apparut dans l'encart sombre de la porte. Elle fit quelques pas en riant, la tête levée vers le ciel. J'aspirai une dernière bouffée d'air puis accueillis la douleur le plus silencieusement possible quand enfin je l'aperçus. Mon père riait lui aussi, heureux. Plus heureux, plus vivant que jamais. Une stupeur authentique jaillit dans la plus vive des lumières.

Je me rapprochai lentement du mur pour ne pas être vue. Paralysée, écœurée, je contemplais impuissante l'horreur de la scène qui se déroulait sous mes yeux. Mon père tenait cette inconnue dans ses bras et l'embrassait devant sa voiture. Puis, il recula son visage pour venir poser ses lèvres sur son front de la façon la plus délicate qui soit. C'était tendre, sincère. La fidélité n'était donc qu'un joli vernis de façade pour les couples.

Je les regardai monter dans la voiture, le cœur en vrac. Quand le véhicule démarra, je me rappelai que je n'étais pas censé me trouver là. Prise de panique je me retournai et me collai contre le mur extérieur. Sans que je lui demande, Diez vint se mettre devant moi pour me cacher au moment où la voiture sortirait du parking. Il me sauvait... encore une fois. Machinalement, j'enroulai mes bras autour de son cou et il se rapprocha encore plus près. La scène était convaincante. Un couple enlacé près d'un motel.

Baby Doll (French version)Where stories live. Discover now