Chapitre 8 : Le manoir des Redfern

6 3 0
                                    

Le manoir était gigantesque.

Il était d'ailleurs tellement imposant que les arbrisseaux taillés au millimètre près dans le jardin semblaient ridicules à côté. Les tours noires s'élevaient dans le ciel gris, les rideaux tirés ne permettaient pas de voir ce qui se cachait à l'intérieur et les statues d'hommes figés dans le jardin offraient une vue d'ensemble sur l'impression que dégageait la bâtisse : inhabitée et mortellement silencieuse.

Le Corbeau frappa trois fois la porte à l'aide du heurtoir. Seule Rozenn l'accompagnait, les jumeaux avaient été obligés de rester dans la charrette sur l'ordre de celui-ci.

Quelques secondes après, un homme d'une trentaine d'années apparut, comme s'il s'était caché derrière la porte pour leur ouvrir. Le teint pâle et les yeux rougis, ses vêtements n'avaient pas meilleure mine : froissés et tachés, ils ne le mettaient pas sous son plus beau jour…

— Corbeau, il vous attendait.

Sa voix était monotone, presque sans vie. Tout comme l'expression de son visage qui restait indéchiffrable. Il entrouvrit la porte, les invitant à rentrer.

— Merci, Ragrock.

L'interpellé lui jeta un regard surpris, puis s'enfonça dans le manoir en boitant, le Corbeau et Rozenn sur ses pas.

Les fenêtres étaient recouvertes de rideaux marrons, ce qui assombrissait encore davantage les pièces dépourvues de la moindre source de lumière. Dans l'obscurité, la jeune fille parvint tout de même à distinguer les centaines de portraits accrochés aux murs ainsi que l'argenterie disposés sur des meubles du style de leur souverain, le roi Louis XIV.

Quand ils arrivèrent dans un salon qui faisait largement la taille de toutes les pièces de la maison de Rozenn, Ragrock leur dit d'attendre ici avant d'aller chercher le maître des lieux.

— Bien, répondit simplement le Corbeau.

Les pas du serviteur s'éloignaient d'eux. Et bientôt, seule l'horloge à pendule se fit entendre dans tout le manoir. À croire que personne n'habitait les lieux…

Le Corbeau avait la tête baissé quand il murmura :

— Ne dis pas un seul mot à Bartholomaus Redfern et surtout, évite d'attirer l'attention sur toi.

— Qui est-ce ?

— Un homme très important dont il ne serait pas avisé de s'en faire un ennemi.

Le message était clair : il ne voulait pas qu'elle intervienne de quelque manière que ce soit. Et pour une fois, elle prit ses consignes au sérieux. C'est vrai, si le propriétaire des lieux était aussi austère que son manoir, elle n'était pas franchement impatiente de le rencontrer…

— D'accord, lui répondit-elle avant qu'un grand homme aux yeux d'un gris glacial pénètre dans le salon, d'une démarche assurée.

Rozenn ne put s'empêcher de fixer l'énorme pli qu'il avait entre ses broussailleux sourcils éclairci par l'âge. Déjà parce que pour une raison qu'elle ne s'expliquait, elle se sentait incapable de soutenir son regard, mais aussi parce que sa ride prenait pratiquement l'entièreté de son visage.

— Corbeau ! s'exclama-t-il avec un geste cérémonieux. Quel plaisir de vous voir !

Se tenant en face de ses invités, il inclina légèrement la tête et embrassa le sol des yeux avant d'admettre :

— Même si j'avoue que j'aurais préféré que ce soit en d'autres circonstances...

Sa lèvre supérieure tressauta. Allait-il leur montrer les dents ?

[T.1] Les Sentinelles de l'Ombre : L'Ascension Where stories live. Discover now