Chapitre 19 : Le marché

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Rozenn détestait les dimanches. Pour rejoindre les autres dans la cour, elle traînait des pieds, les épaules lourdes : non, elle ne portait pas le poids du monde sur le dos, elle avait juste l'impression de marcher jusqu'à l'échafaud ; oui, devoir supporter la présence de Corentin lui faisait cet effet-là.

— Rozenn !

Rozenn s'arrêta en plein milieu de la cour. Marie relevait ses jupons et fonçait droit sur elle, Katell à sa suite. Une fois en face d'elle, essoufflée, elle lui prit les deux mains et s'enquit : 

— Comment vas-tu depuis hier ? 

— Très bien, c'est gentil de demander, répondit-elle, distraite. 

Marie passa son bras sous le sien et l'emporta avec elle dans sa ballade alors que les autres élèves s'amassaient devant la herse, prêts à partir. Rozenn se retourna, Katell les suivait, tout en gardant une certaine distance afin qu'elles ne soient pas dérangées. Était-elle en train de jouer le rôle de chaperon ? 

— Je suis désolée, je n'ai pas pu aller te voir à l'infirmerie c'était pour une très bonne raison, poursuivit Marie, sur sa lancée. Vois-tu, j'ai réussi à faire en sorte que... 

Katell lui sourit, compatissante, et lui désigna du menton les garçons. Egon et les jumeaux se tenaient à l'écart, près de la sortie, et comme ils étaient adossés au mur, elle s'aperçut qu'ils l'observaient aussi. Elle adressa un faible sourire aux jumeaux et ignora Egon. 

Elle avait réfléchi à ce que lui avait dit Katell et elle ne se sentait pas prête à lui parler de nouveau. Surtout pas s'il ne venait pas la voir. Tous les deux devaient pouvoir s'expliquer dans le calme et le respect. Et au vu du comportement qu’il avait eu la dernière fois où elle s’était confrontée à lui, ce n’était pas le moment. 

C'est vrai, il ne lui avait même pas laissé le choix de se défendre et pire, il s'en était pris à l'une des personnes les plus importantes de sa vie, son père. C'était donc à lui de faire le premier pas. Non à elle.

Il était blessé et elle pouvait le comprendre. Néanmoins, ce qu'il lui avait dit lors du cours de Spiritisme ne passait pas. Cela lui rappelait beaucoup trop la période où, avant de l'ignorer complètement, Corentin avait ordonné à ses larbins de la suivre partout pour l’accabler de reproches et de propos plus blessants les uns que les autres. 

Et si elle pouvait supporter que l'on s'acharne sur elle, elle ne tolérait pas que l'on s'en prenne aux siens. C'était personnel, et même si elle avait été furieuse, jamais elle n'aurait utilisé son contexte familial pour le lui jeter en pleine figure comme il l'avait fait. 

— Alors, qu'en dis-tu ? lui demanda Marie, interrompant le fil de ses pensées.

Elle échangea un regard paniqué avec Katell. Ça lui apprendrait à ne pas écouter Marie quand il le fallait...

— Bien sûr qu'elle est d'accord, répondit-elle à sa place. Hein Rozenn, t'as pas envie d'aller à l'abbaye ? 

Reconnaissante envers Katell, elle se dépêcha de hocher négativement la tête.

— Absolument pas, déclara-t-elle, abasourdie.

— Je savais que tu serais d'accord. Le chemin jusqu'à l'abbaye est beaucoup trop pénible et les élèves de Ravenschool ne savent pas se tenir. 

Rozenn se mordit la lèvre pour s'empêcher de rire : elle avait surtout envie de ne pas croiser les korrigans... Mais elle n'allait pas s'en plaindre, plus loin elle serait de Corentin, mieux elle se porterait...

— Ils n'ont vraiment pas de quoi se vanter. La plupart ne sont même pas nobles. Par ailleurs, il n'y a aucun mérite à être élu. C'est vrai, leur statut traite plus de la chance qu'autre chose...

[T.1] Les Sentinelles de l'Ombre : L'Ascension Où les histoires vivent. Découvrez maintenant