Chapitre 4

12 4 2
                                    

Après quelques emplettes pour manger sur le pouce ou au réchaud, l'aventure se poursuit sur la route numéro 1 pour rejoindre le cercle d'or. Au programme, la traversée du parc national de Thingvellir, la zone géothermique de Geyser puis la cascade de Gullfoss. Je m'extasie devant le paysage atypique qui défile sous mes yeux. Le silence dans l'habitacle est loin d'être pesant. Il flotte dans l'atmosphère une tension agréable.

Après avoir foulé le sol du parc, Noa stationne le véhicule sur le parking de notre destination suivante. Le soufre maltraite nos narines dès l'ouverture des portières.

— Charmante grimace, me moqué-je.

Une langue tirée, sensuellement pincée entre ses dents, fait office de réponse et je suis prise d'une envie de m'en saisir. Mes pensées s'interrogent sur le goût qu'elle a, quand il claque des doigts devant mes yeux pour me faire revenir sur terre.

Son appareil photo autour du cou, Noa immortalise la beauté du pays tandis que mes pieds foulent le sol, slalome entre les sources chaudes de la zone. De la mousse se forme à la rencontre de l'eau turquoise frétillante et de la terre fraîche. La vapeur qui s'échappe de la surface témoigne de la température atypique des lieux. Mais je reste scotchée, et surtout surprise, par la puissance du geyser principal qui jaillit jusqu'à plusieurs mètres au-dessus de moi.

— Avoue, tu le savais en nous positionnant ici ! m'exclamé-je lorsqu'un torrent éphémère de gouttelettes me mouille.

Son sourire confirme que j'ai raison. Pourtant, quand il me montre le résultat du cliché, la spontanéité et l'authenticité me frappent. Mes yeux passent de l'écran aux siens et la fierté surfe sur ses traits. Il me caresse la joue avec tendresse et dépose un doux baiser rieur sur la tempe, comme pour dire « Ça en valait la peine non ? » D'abord surprise, je me crispe avant de me détendre et d'apprécier à sa juste valeur cette attention touchante.

Si cet homme est dépourvu de parole, ses actions parlent pour lui. Cette rencontre inattendue arrive au moment de ma vie où j'ai besoin de rêver, de profiter, de me laisser porter tout simplement, sans réfléchir au lendemain et c'est exactement ce que m'offre cette aventure. Finalement, cet imprévu avec la voiture, n'est-il pas un mal pour un bien ?

Les heures progressent tout comme notre complicité au fil des kilomètres.

La nuit est tombée depuis un certain temps et la fraîcheur s'invite à présent jusque sous mes vêtements. Notre longue discussion silencieuse, à admirer les aurores boréales, a épuisé mes dernières forces. Voir les traînées vertes danser dans le ciel a rendu ma bouche aussi muette que celle de mon compagnon, mais mes yeux aussi pétillants que les siens. Je contemple avec mon cœur. Je m'émerveille avec mon âme. D'une seule œillade, nous nous sommes compris. L'éclat dans nos regards témoigne de nos sentiments et de la puissance d'un tel spectacle. Nul besoin de mot.

Un frisson me parcourt, frisson qui ne passe pas inaperçu à ses yeux attentifs. Subtilement, sans quitter le ballet lumineux, une main trouve la mienne et un torse se colle contre mon dos. J'accueille son étreinte avec bienveillance, sans arrière-pensée. Ses bras me serrent et me procurent la chaleur qui me fait défaut. Lovée contre lui, calés contre le capot de la voiture, la nuit défile au rythme enchanteur de ce phénomène solaire. Puis, lorsque sa puissance s'amenuit, il est l'heure de sombrer.

Emmaillotée dans mon sac de couchage, comme cristallisée dans un cocon, je suis oppressée. L'espace me manque, l'air me manque. Mes yeux cherchent les contours de la tente, mais ne distinguent rien. Plus je me concentre pour me rendormir, plus je panique. Ne bouge pas trop, tu vas le réveiller. Ne fais pas trop de bruit, il va t'entendre. Et mon cerveau fait tout l'inverse, une boule se creuse dans mon estomac, je dois sortir. Maintenant. Quelle idée j'ai eu d'accepter son invitation ! Cependant, profiter du matelas après une nuit d'horreur sur la banquette arrière était bien trop tentant. Qu'est-ce que je regrette!

Je tâtonne à la recherche de la fermeture éclair. Mes doigts trouvent la pièce métallique et je tire dessus en me redressant. Mes poumons se remettent en marche sous l'assaut glacial de l'air extérieur. J'agrandis l'ouverture, mais la réalité me frappe. L'absence d'échelle.

Putain... Mauvais côté. Timing merdique. Rythme cardiaque qui grimpe en flèche.

Je sursaute quand une main se pose sur mon épaule. La peur me grignote petit à petit.

— Je... je... balbutié-je. Ça va pas. Faut que je respire. Y'a pas assez d'air, pas assez d'espace. Je peux prendre ta place s'il te plait ?

Mais je n'attends pas sa réponse. De toute façon, je n'en aurai pas et s'il me fait un signe, je ne le verrais pas. Je tente de passer par-dessus son corps à moitié relevé, mais je ne distingue pas grand-chose. Où est mon téléphone ? Il me faut de la lumière. Ma tête oscille entre retourner à ma place pour le chercher ou sortir au plus vite sans garantie d'atteindre mon objectif. Tandis que ma panique monte encore d'un cran, alors que je suis à califourchon sur un quasi-inconnu, deux mains encadrent soudainement mon visage. Pris en coupe, la pulpe de ses pouces caresse mes joues. Je m'agrippe à ses poignets comme si le sol se dérobait sous mes pas, juste pour ne pas m'écrouler. Son souffle chatouille ma peau quand son nez embrasse le mien. Des mouvements circulaires, doux, apaisants. Une paume s'éloigne pour accompagner ma main vers son cœur. Le rythme de ses battements donne le tempo et je me concentre pour calquer ma cadence à la sienne. Nous restons là, de longues minutes, avant que la sérénité reprenne possession de l'espace.

— Merci, murmuré-je entre deux respirations.

Noa m'attire à lui, ma tête repose sur son pectoral quelques instants. Puis, il me glisse à sa place et se blottit contre moi alors que je maintiens sa main dans les miennes, tout contre ma bouche, comme un doudou rassurant.

Comment peut-il transmettre autant sans la moindre parole ? Comment ses sentiments peuvent-ils transpirer autant par les pores de sa peau ? Comment ses gestes peuvent-ils parler bien plus que n'importe lequel des hommes ?

Morphée me rattrape, enveloppée dans les bras de cet étranger qui se dévoile.

Après un réveil en douceur, je me change en vitesse sous la toile de tente alors que Noa s'active déjà dans le coffre. Je lui suis reconnaissante de m'accorder un peu d'intimité, et je regrette presque mes coups d'œil furtifs lorsqu'il enfilait son tee-shirt, tout en faisant croire que je dormais encore. Je le rejoins et il m'accueille avec un baiser tendre sur le front, un verre de jus à la main.

— Bonjour à toi aussi. Et merci, dis-je en saisissant la boisson qu'il me tend.

J'engloutis également mes tartines à la confiture, gentiment préparées. Rien de mieux pour affronter cette nouvelle journée hors norme.

— Je conduis cette fois ?

Il acquiesce.

L'asphalte défile sous les roues tandis que le lever du soleil nous tient compagnie. Puis, quand ce spectacle n'accapare plus mon attention, l'un de mes défauts fait surface : une langue qui se délie au volant. J'enchaine mon monologue sous le regard amusé de mon copilote. Mais je suis vite lassée de parler de choses insignifiantes, alors je lance une session de questions/réponses à base de oui ou non. J'ai cependant l'avantage du choix des sujets et c'est avec la gorge asséchée que je gare notre véhicule sur le parking, prête pour la randonnée qui nous attend.

Coupée du monde au cœur des volcans, mon regard est absorbé par une zone active. De la fumée s'échappe de la roche, longeant la topographie avant de se fondre dans l'atmosphère. Le vent fait danser le gaz blanc devant mes yeux, apportant jusqu'à mes narines une odeur de soufre. J'avance sur la crête, ébahie, mais faisant attention à ne pas glisser. Je traverse la brume qui s'agite autour de moi, et qui reprend de la puissance en s'engouffrant dans les creux du relief.

Noa, appareil en main, capture ce décor hors norme, enfermant à jamais la naïveté de mes réactions.

Iceland dreamNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ