Chapitre 8 : Ce que je t'offre.

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(TW : c'est le smut. Ye be warned.) 

 Au temple de TamLin, Nightingale a emmené Muse s'asseoir avec lui près de la source, au pied de la statue du dieu.
Son profil de marbre éternellement dressé vers un ciel clos. Les lampes de gaz aux flammes tremblantes, seules lumières destinées à jamais éclairer sa gloire perdue.

Le silence est un silence de roc, un silence de lieu saint, qui glisse comme glisse l'eau sur le grès du divin piédestal.
La paix de ce sanctuaire n'arrive pourtant pas à transpercer l'épaisse carapace de son chagrin, bien qu'elle semble avoir quelque effet sur Muse.

La Ménestrelle , appuyée contre lui, calme progressivement sa respiration. Les deux loups de son Maître, assis près d'elle, veillant eux aussi leur protégée.
Ils restent là, serrés l'un contre l'autre, à fixer la source qui murmure si légèrement son chant d'eau vive. Unique musique accompagnant leurs souffles.
Nightingale a passé son bras autour des épaules de sa compagne d'infortune.

Il sait, depuis quelque temps, qu'Emyl et elle ont commencé à tisser un lien qui défie à la fois le deuil immuable de l'Éternelle Fiancée, et la distance que le sabreur entretient précautionneusement avec la plupart de son entourage.
De quelle manière ces deux-là ont-ils trouvé l'un dans l'autre une telle réponse à leurs failles, un écho aux embruns de leurs tempêtes internes... Le Ménestrel ne le sait pas, mais pour lui, cela apparaît pourtant comme une évidence. Ténue, fragile... Que les mots, peut-être, n'ont pas encore touchés...
Mais qui est là, pourtant. Bel et bien là...

Emyl... Plus qu'un ami... Presque un frère.
Le quatrième de Basse-Fosse. Leur soldat. Leur bras armé. Leur éternel protecteur...
Le voir si fragile, au bord de la mort, prêt à plonger dans les abysses sans retour, a achevé de montrer au Ménestrel la fragilité de leur position.
Il connaît la mort. Oh, il ne la connaît que trop...
Mais Emyl... Si fort... Nightingale le pensait hors de la portée de ses mains griffues, loin de sa Faux sinistre.
Et Enora... TamLin la protège... Enora... Dans sa geôle de verre et d'acier...
Que lui est-il arrivé? Sa Princesse, petit soleil de leur prison...
Comment va-t-elle? Que peuvent-ils faire pour la secourir, à présent?

Le Ménestrel retient son chagrin. Il voudrait, pour Muse, être capable d'offrir des mots d'espoir. Mais il n'en a plus aucun...
Ses phrases brillantes, toutes de lumière et de lendemains possibles, se sont taries dans sa gorge.
Même ses prières... Ses prières ne lui sont d'aucune utilité...

"Luke a promis..."
Il baisse les yeux vers Muse. Elle a enfin parlé, d'une voix si ténue qu'elle se mêle au bruissement de l'eau.
"Il a promis qu'Emyl s'en sortirait," reprend-t-elle, avec un peu plus d'aplomb.
"Je souhaite de toutes mes forces," répond-t-il, choisissant soigneusement ses mots, "que Luke ne se trompe pas. Tellement de gens, de braves gens, sont tombés déjà pour cet Idéal..."
Un Idéal né dans les recoins les plus sombre d'Hillmoore. Loin de la ville, de la réalité, de l'Assemblée, dans ce qu'elle a de plus meurtrier.

"Cet Idéal..." Muse tourne vers lui son beau regard de tragédienne. "Il mérite que l'on se batte pour lui. C'est ce que nous faisons tous. C'est ce que nous continuerons à faire."
Il se force à lui sourire.
"Bien sûr," répond-t-il, allant chercher au fond de lui-même une certitude qu'il n'a eu de cesse de continuer à nourrir malgré tout, à laquelle il se raccroche quand plus rien ne fait sens. "Parce que c'est ce qui est juste. Parce que c'est ce qui est beau. Chaque être mérite la liberté. Le droit de vivre... Ce droit... Pour lequel nous donnerons peut-être nos existences. Mais cette fatalité ne peut nous arrêter..."
Il sait qu'Emyl luttait, lutte encore, pour le même combat qui les anime. Et il a compris, à présent, que se bercer de l'illusion que lui-même pourrait sauver tout le monde, ne faisait que retarder l'inéluctable, et le laissait démuni face à l'absurde d'une guerre qu'ils ne peuvent se permettre de perdre.
Leur destin commun, ils l'ont tous embrassé...
La seule chose qu'il lui reste... Est de faire confiance. D'espérer.

Muse pose une main sur sa joue.
"Tu as peur?" demande-t-elle, après un long silence.
Il passe sa paume sur le crâne rasé de son amie.
"Oui," avoue-t-il. "J'ai peur. J'ai peur de ne plus savoir quel est le capitaine de ce vaisseau perdu dans la tempête, ne de pas savoir où se trouve notre destination... Mais je n'ai plus peur de vivre. Je veux vivre. Tout comme Emyl veut vivre... Nous ne créons pas ces lendemains pour attendre simplement que le sort nous frappe... Mais parce que nous nourrissons tous le désir de voir ce futur... J'ai peur de ne pas y assister... Peur aussi pour ceux qui pourraient manquer à l'appel au matin de la Révolution..."
"Nous nous battrons tous," affirme Muse, ses yeux noirs brillants. "Nous triompherons. Il le faut. Nous allons sauver le monde, Night... Avec des chansons... Avec nos chansons."

Il a un sourire. La foi indéfectible de son amie dans leur action, dans la portée de leur musique, est un baume sur son âme.
"Tu n'as jamais cessé d'y croire," dit-il doucement, caressant ses tout petits cheveux courts qui lui donnent l'air d'un jeune faon au pelage hérissé.
"Et moi non plus," intervient une voix derrière eux. "Tout le monde croit à vos chansons... Tout le monde sait que ce sont elles qui ont rendu la Révolution possible... Elles qui nous ont tous sauvés..."

Il se retournent pour voir Ghost, qui s'est approché sans bruit, de son pas léger de chapardeur.
Le Ménestrel sent son rythme cardiaque devenir erratique.
Ghost... Qu'il a espéré pouvoir croiser depuis leur baiser chez Wander... Qui lui a laissé entendre tellement ce matin...
Il est venu les trouver. Avec ces vêtements empruntés dans la garde robe du Ménestrel, ses cheveux perpétuellement en bataille... L'incarnation de la grâce des Anges mêlées au sang de la rue...

"Vos chansons..." continue le voleur, arrachant Nightingale à sa contemplation, "Tes chansons Night, ont forgé cet Idéal dont tu parles. Nous y croyons tous. Emyl y croit aussi... Parce qu'elles sont vraies... Tu n'as toujours su dire que la vérité."
Il s'arrête à quelques mètres des deux amis, ne sachant pas s'il peut avancer... Hésitant.

Le Ménestrel se remet sur les pieds en un geste souple, entraînant Muse avec lui.
"Pourquoi es-tu ici?" demande-t-il à Ghost, qui détourne imperceptiblement son visage, sans cesser de le fixer. Gêné, peut-être?
"Je..." Le voleur cherche ses mots. "Ne voulais pas... te... Laisser...Comme ça."
Night voudrait faire un pas vers lui... Mais Muse est sous sa responsabilité. Il est ici pour elle.

La Ballade du Pont des Anges - Tome 2 : GhostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant