Chapitre 7

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TCA


June.

Cela fait plusieurs jours que je ne mange plus grand chose. La cause ? Je me suis pesée. Après presque un mois à enchaîner des crises d'hyperphagie presque tous les jours, je l'ai enfin fait.

Et ça m'a fait mal. J'ai failli en pleurer. J'avais les larmes aux yeux.

Au fond, je savais que j'avais repris du poids. Mais le voir pour de vrai m'a détruite.

Je pensais pourtant m'y être habituée. À décevoir tout le monde. À décevoir mes parents, ma famille, mes amis, mes profs. À me décevoir moi-même.

Il est 17h, je rentre chez moi à pied. Pas de vidéos pour Alice, je n'ai pas le moral.

Saleté de règles.

Dans mon sac, un 12,5/20 en spé maths et un 9/20 en spé physique. On est seulement à mi-septembre et je suis déjà en train de lâcher l'affaire.

Les cours, les devoirs, les évaluations. C'est trop pour moi. J'en ai marre. J'ai envie de me barrer en Belgique, moi aussi.

Je veux fuir ce système éducatif de merde.

J'ai écrit à mon meilleur ami, Arthur, hier soir à 23h30. Je lui ai balancé mes TCA et mon anxiété. Avec d'autres termes évidemment.

Avec lui je déteste employer les termes « TCA », « hyperphagie », « boulimie », « anorexie », « anxiété » et « dépression ».

Pourtant, il a toujours été très compréhensif. Quand on s'est rencontré, en colonie de vacances, il s'était assis à côté de moi dans le bus parce qu'il n'y avait plus de place ailleurs.

On avait beaucoup parlé et à la fin de la colonie, il en savait plus sur moi que n'importe qui d'autre de mon entourage.

Peut-être bien même que moi-même.

C'est comme ça que j'ai su qu'il serait mon meilleur ami. Et ça n'y a pas manqué.

On s'est revu à plusieurs colonies et même si on changeait, notre amitié, elle, a toujours perdurér.

C'était mon psychologue, comme je m'amusais à l'appeler.

J'adorais lui parler mais il était tellement discret sur lui que j'avais toujours l'impression de ne rien lui apporter en retour.

Puis j'ai fini par accepter que c'était sa personnalité et que je devais faire avec.

Donc naturellement, Arthur demeure la première personne à laquelle je veux parler dès que ça ne va pas.

— June, c'est quoi ces notes ? gronde ma mère en jetant un coup d'œil à son écran où mon relevé de notes du semestre est affiché.

Je devine que ce sont des anciennes, que je lui ai aussi caché.

Tu n'es qu'une menteuse, June.

Je me souviens avoir dit à Alice, lors d'une soirée alcoolisée, que je mentais à tout le monde.
Dieu merci, elle ne s'en souvient pas.

Enfin, je crois.

Je sens les larmes me monter aux yeux et je colle ma langue contre mon palais pour les réprimer.

Même si je suis totalement consciente que c'est vain.

Elles finiront par sortir, comme toujours.

— Tu penses qu'avec ça, tu seras acceptée en prépa ? elle me hurle, le visage déformé de colère et d'inquiétude.

Mais je ne veux pas aller en prépa...

Mon père reste impassible, sur le canapé. Il est comme ça, de nature froide et distante, même si au fond il est très attentif et très attaché à nous.

Mais là, à ce moment précis, son silence me pèse.

— On a discuté longuement avec ton père. Et étant donné que tu refuses son aide pour les cours de spécialités, on t'a pris des cours particuliers, elle continue.

Quoi ?!

Je sens quelque chose se briser en moi.

Certainement pas mon cœur, ça fait longtemps que je n'en ai plus. Mais peut-être mon estime d'eux, ou plutôt, le peu qu'il en restait.

— Non... vous ne pouvez pas faire ça, je bredouille avec des larmes qui dévalent des joues. Promis, je vais me ressaisir. Je vais faire des efforts, je vais plus travailler.

Ma voix était enrouée par le sanglot que je refoulais. Mais c'est sur ces derniers mots qu'elle m'a trahie en le laissant s'échapper.

Ma mère secoue la tête, pleine d'exaspération.
— Ça suffit, June. De toute façon, on a déjà payé le prof. C'est un ami de ton frère que tu ne connais certainement pas. Il est premier de sa classe en prépa d'ingénieur agronome. Il avait les mêmes spécialités que toi au lycée et il y excellait. C'est le candidat parfait pour te faire remonter la pente.

— Maman, je t'en supplie. Laisse-moi juste une chance de me rattraper.

— Non, June. On t'en a bien assez laissé.

Le regard de mon père appuie ses propos et je me sens profondément trahie.

Je veux mourir.

Le soir, au repas, j'ai bu beaucoup d'eau, j'ai versé mon bol de soupe encore rempli dans l'évier puis je me suis éclipsée pour aller jouer du piano. Comme d'habitude, personne n'a rien remarqué.

Au début, ça me rendait triste. Que personne ne remarque, je veux dire.

Je pense que je souhaitais un peu attirer l'attention. Quitte à avoir des TCA...

Mais je m'y suis faite et ça m'arrange, qu'ils ne fassent pas attention à moi. Qu'ils me fassent des compliments quand je perds du poids.

« Tu t'es affinée. »

« Tu es belle, ma chérie. »

« Tu as perdu du poids, ma puce. »

Mes TCA étaient un appel à l'aide que personne n'a su entendre.
Ils se sont tous rendus complices de mon mal-être.

Finalement, je pense que leurs paroles m'ont autant brisée que la nourriture en elle-même.

J'achève mon morceau de piano sur un accord à trois notes et me lève de mon siège pour dire bonne nuit à mes parents.

Je monte dans ma chambre et passe la fin de la soirée sur mon téléphone.

J'espère que ce prof particulier va s'étouffer dans son sommeil.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 09 ⏰

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