I. The Offering

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Dans les entrailles de la nuit, là où les ombres dansent leur ballet silencieux, une rue se languit, enveloppée d'un voile gras et sale.

Les réverbères vacillants jettent de faibles éclats pâles sur les pavés, révélant des silhouettes fugaces qui se perdent dans l'obscurité. Des chats errants, ou peut-être des rats de ville.

Les façades des vieux bâtiments semblent murmurer des secrets oubliés, leurs contours effacés par le poids des siècles. Elles sont si troubles, je ne sais pas si c'est la nuit ou ma vision.

Le vent, lui, chuchote des mélodies étranges, tandis que le balancement des arbres leur confère des silhouettes presque humaines. Devant ce ciel sans contraste ni imperfections, j'ai l'impression de voir des esprits me narguer.

C'est là, dans cette rue sombre, que l'imaginaire s'éveille. Seulement quand j'arrive à rêver. À m'évader.

Il y a quelques années, je suis né loin des autres, loin du monde, quelque part perdu sur une Terre que moi seul n'a jamais connu. Un monde qui m'appartient, plus léger, idéal.

Ce soir, je marche loin de celui-ci. Il fait toujours nuit dans le monde des autres. Sous mes pieds, je le vois avancer rapidement, si vite que j'ai l'impression de dériver vers un tourbillon.

Souvent, je quitte le monde des autres et je rêve. Je voyage jusqu'à cette Terre, celle où je suis né. Celle où il fait bon vivre. Ce monde-là avance mais plus doucement. La lumière y est délicate et le bruit se transforme en chant. Cette nuit, il me semble si lointain.

Il y a quelques étoiles dans mon monde. Elles m'observent tendrement. Parfois, j'ai l'impression qu'elles m'enlacent avec leurs mille rayons. Je lève les yeux vers le ciel mais je ne les retrouve pas. Ce ciel-là est sombre et opaque, il se refuse chaque émotion. Les étoiles se cachent et me manquent.

Dans le monde des grands, j'avance comme un enfant. Je baisse les yeux vers ce sol terne, ces jambes fines et silencieuses me narguent. Elles se demandent peut-être vers où elles avancent.

– Loin de tout, je chuchote à moi-même.

Terrifié des miens car je les ai vu mentir, ils ne s'approchent jamais de mes idées. Je n'ai de cœur pour eux, pour l'humain en général, il n'a jamais su m'accepter. Je le fuis constamment sans pouvoir me contrôler. C'est plus fort que moi, je passe ma vie à marcher à contresens. Elle est une fuite perpétuelle d'un univers qui m'effraie, où je chute les yeux fermés ; une course sans fin vers un inconnu, vers un espoir.

Sur Terre, je n'ai laissé mon empreinte. Mes pas sont trop discrets. Ma voix se casse à chaque mot. Est-ce que quelqu'un m'a seulement déjà entendu ? Il n'y pas une de mes larmes qui a réussi à toucher ce sol brûlant. Elles s'accrochent à mes joues comme si elles craignaient de l'éteindre. Mais rien ni personne n'a su un jour, ou une nuit, éteindre les flammes de l'enfer. 

J'ai vu des enfants, des personnes fragiles ou brisées, des âmes sans espérance, des pauvres malades mais je n'ai jamais vu quelqu'un qui me ressemblait. J'ai cherché le reflet de ce que je ne comprenais pas dans les hommes, cela m'a juste éloigné de mon but. De la réponse à mes questions. Je comprends enfin à quoi j'ai passé ma vie. Je n'ai fait que courir après mon ombre.

Cette nuit, je suis seul. Il n'y a pas un vivant à des kilomètres mais j'étouffe. Pourquoi ai-je l'impression qu'on me vole de l'air ?

Peut-on me laisser du temps ? J'ai parfois l'impression de compter chacune de mes respirations. Des mots pressés qui cherchent parfois un but, une fin de phrase, se perdent dans un ouragan — la bouche des autres. Et moi, je ne comprends rien. Ils appellent ça les choses sérieuses. Je n'aime pas les choses sérieuses.

Mon monde, celui où je suis né, est si paisible, comme s'il avait été créé pour que je m'y repose. Il est étroit mais si vaste. Il est mauve et un peu bleu. Vaste et mauve, bleu et étroit. Tel est le rythme de mon étoile. Bleue pendant les nuits froides et solitaires, mauve au petit matin quand à l'horizon se dessinent les nouvelles espérances.

Ces temps-ci, je ressentais cette étrange sensation. Un vide absolu creusait mon ventre. Je sais exactement ce que cela veut dire. Je me sens seul. Plus que d'habitude. Je me sens seul entre les hommes. Cette distance me paraît infinie, je respire mieux dans mes songes. Là où je ne suis gêné d'être moi. Là où on me laisse m'aimer. Cet endroit où je sais presque qui je suis. Au-dessus de moi, la lune m'éclaire difficilement. Je l'entends rire.

Tout est si compliqué dans le monde des autres, tout me dépasse. Je me sens si petit. C'est comme si des montages m'entouraient, et que des vents violents me bousculaient dans une vallée très noire. Loin de l'aurore mauve de ma planète, je n'ai plus d'endroit pour rêver. Je suis assis sur un banc et j'essaye de pleurer.

La Terre s'est trop étendue, les humains n'ont pas d'assez grands cœurs pour combler tout cet espace. Ainsi, ils construisent des bâtiments sales et vides pour remplir ce néant. Bientôt, leurs cœurs ne pourront plus rêver de grandir. Ces villes ont été pensées par des enfants qui réfléchissent comme des grands.

Dans un de ces vieux bâtiments gris où je me perds, mon esprit est comme figé. Un chemin ou autre chose m'a mené quelque part. Je marche dans tous ces couloirs et une odeur désagréable remplit mes narines. Devant moi, apparaît une porte imposante. Sa couleur m'intrigue. Pourquoi est-elle si claire ? Son reflet étonnant et singulier contraste avec le décor. Je crois n'avoir jamais découvert une teinte de la sorte. J'ouvre la porte timidement. Une chose me saute dessus sans prévenir et je tombe à la renverse.

— Je t'ai attrapé, sale voleur. Chuchote une masse lourde qui m'écrase.

J'ouvre et je ferme mes yeux frénétiquement pour habituer mes yeux à l'obscurité. Mais je n'arrive pas à distinguer cette ombre assise sur moi.

— Je ne suis pas un voleur. Dis-je en repoussant la masse inconnue.

Tout d'un coup, la pièce s'éclaire. Un halo lumineux projette sur moi et sur les murs une lumière orangée qui m'éblouit, me brûlant les yeux. Je les frotte avec mes poings, comme si ces frottements pouvaient faire disparaître ce terrible rayon.

— Désolé... je m'en vais. Je ne savais pas que c'était une propriété privée. Chuchoté-je en peinant à me relever.

Une main minuscule se pose sur mon poignet pour le serrer avec une force qui me surprend. Mon corps se crispe dans une grande contraction, m'obligeant à poser un genoux au sol.

— Ne pars pas si vite.

Au-dessus de moi se dessine progressivement une étrange forme. Une silhouette féminine perce la dureté de la nuit et je remarque directement ses longs cheveux avec leur teinte rougeâtre. Et ses yeux... Ils sont de la même couleur que les étoiles.


...

Le secret des étoilesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora