III. Butterfly

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Dans les brumes du soir, se dresse l'entrée de la forêt. Les arbres, pareils à des géants endormis, se courbent sous le poids des secrets qu'ils protègent, gardant ces bois mystérieux. Pourquoi est-ce que je l'ai suivi jusqu'ici déjà ?

Est-ce que la démence est en train de prendre le dessus sur moi ? Qui serait assez insensé et imprudent pour suivre une inconnue dans l'obscurité de la nuit ? Moi, un inconscient.

Le sol, jonché de feuilles mortes, pleure de toutes ces couleurs monotones. Je tente d'éviter les flaques d'eau et toute cette boue qui se répand de toute part mais mes jambes sont floues. Comme si je peinais à exister. Comme si mon existence était trouble.

Je lève le regard vers ces troncs rugueux qui semblent s'élever comme des sentinelles autour de nous. Sur eux, du lierre s'entrelacent avec leurs branches, telles de terribles serpents, étreignant chaque parcelle de vie qui essaye de lui résister.

Les ronces, elles, comme des mains avides, tendent leurs griffes cruelles pour saisir quiconque oserait s'aventurer plus avant. La forêt vit plus que moi. Elle a peut-être volé ce qui me manque. Un morceau de moi. Celui que je cherche.

Les rayons mourants de la lune filtrent à travers le manteau des cyprès, créant des jeux d'ombres et de lumières éphémères qui dansent sur le sol, autour des flaques. Témoin de ce spectacle sauvage, je sens mon cœur battre au rythme de cette nature oppressante, beaucoup trop vite.

- Écoute le son de ma voix et imagine qu'un ange t'enlace.

J'ai à peine le temps d'entendre cette phrase que je ressens cette sensation bizarre... Ces mots me couvrent.

C'est comme si elle avait entendu mes pensées bourdonner. Les mêmes qui percutent les parois de mon crâne depuis que l'on marche dans ce lourd brouillard. Et grâce à ces quelques mots, elles se sont envolées, elles se sont éteintes.

Cette créature lumineuse me perturbe. Ou plutôt, sa sérénité me perturbe. Elle se déplace comme on volerait, comme un souffle, sans un bruit. Mais d'où vient-elle ?

- Quelle sorte de créature es-tu ? Demandé-je, étonné. Je n'ai jamais croisé quelqu'un comme toi.

Soudain, le rire de l'inconnu résonne entre les arbres, tandis que les ombres dansent autour de nous.

- Tu me fais bien rire. Réplique-t-elle, un sourire dans la voix. Une créature... Ce n'est pas très flatteur comme terme.

Une sensation de gêne me submerge d'un coup. Mes joues s'empourprent doucement sous le voile de la nuit étoilée. Je prie pour que seulement ces astres remarque ma gène.

- Je suis une Yung, me confie-t-elle finalement. C'est une ethnie plutôt rare d'humains.

- Qu'est-ce qui te différencie ? Demandé-je, curieux.

- Mille choses, mon ami. Répond-t-elle énigmatiquement.

- Tu ne veux pas me les faire découvrir ? Insisté-je.

L'inconnu s'arrête de marcher, se tournant vers moi pour me faire face. Ses yeux brillent d'une lueur mystérieuse alors que son doigt se pose délicatement sur mon torse, à peine perceptible.

- Je suis du genre mystérieuse, tu sais. Répond-t-elle avec un sourire charmeur aux lèvres.

Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit à ces mots et à ce geste qui chamboule tout mon être, je la vois se retourner pour reprendre le cours de sa marche. Cette femme vient d'une autre planète, c'est pas possible.

Nous continuons notre promenade pendant de longues minutes près de l'eau calme, au milieu de la verdure discrète et de sa mousse aux mille teintes. Cette balade en silence est agréable. Ce soir, j'ai l'impression d'admirer la nature encore plus intensément. Chaque respiration semble moins coûteuse en énergie, mes pas se font plus légers. Et la vie semble moins pénible. Ma mélancolie chantonne et ne pleure plus. Elle me fait presque tirer un demi-sourire discret.

Sur les chemins de terre, et parfois de gravier, nous croisons plein de petits animaux. Une luciole se pose parfois sur mon épaule. Un lapin nous fait bondir en sautant devant nous d'un buisson. Nous rigolons, nous nous émerveillons. Tout est merveilleux ici. Je passe souvent sur ces chemins et j'ai pourtant l'impression de les découvrir. La douce musique de la nature m'apaise. Les couleurs de la forêt me paraissent infinies. Le sol me donne l'impression d'être cotonneux. Nous avançons sur un nuage. Nous traversons un rêve.

Un bref instant, mon regard se laisse captiver par les jambes de l'inconnue. Je remarque qu'elle avance à un rythme plus soutenu que le mien. Ses pas sont assurés, mais empreints de silence. Comme ses lèvres, elles restent muettes. Cette femme est si délicate que parfois j'oublie sa présence.

- Comment fais-tu pour être toujours si calme ? Et si discrète ?

Soudain, je ne l'entends plus se mouvoir. Le doux et léger sifflement, à peine audible, qu'elle provoquait, a disparu. Je tourne la tête nerveusement de gauche à droite, je me retourne même. Mais rien. Et j'ai à peine le temps de ressentir un nœud se former au creux de mon ventre, qu'une silhouette lumineuse apparaît sous mes yeux.

- Tout est une question de légèreté, mon ami.

De légèreté ? Qu'est-ce qu'elle essaye de dire par là ?

- Regarde ce point d'eau et son eau calme. Continue-t-elle en pointant du doigt un endroit caché dans la pénombre, juste devant nous.

Je plisse les yeux pour distinguer un point d'eau en vain, je distingue seulement la silhouette de l'inconnue et son halo lumineux.

- Je ne vois rien... Dis-je avant d'être interrompu par un index qui s'écrase sur mes lèvres.

- Ferme les yeux, imagine cette tâche bleue.

J'ai à peine le temps de comprendre ce qu'elle me dit que je sens ses doigts frôler l'intérieur de mon bras. Une chaleur se propage sur ma peau. Elle est douce et reposante. Celle-ci remonte doucement le long de mon épiderme, je la sens réchauffer mon épaule, puis la peau de mon cou. Et soudain, je vois une tâche bleue. Plutôt, une fontaine.

Je secoue la tête nerveusement et l'image disparaît.

- C'était quoi ça ? Bafouillé-je, en me retournant vers l'inconnue.

- Tu as réussi, tu es devenu plus léger. Dit-elle en se rapprochant de moi. Tu l'as retrouvé. Cette fontaine, tu l'as déjà vue et tu le sais.

En fermant les yeux à nouveau, aucune image ne me revient. Un vide absolu apparait sous mes yeux et dans ma tête. Tout a disparu. Il n'y a que ce souffle chaud qui s'écrase près de mes lèvres. Je n'ai jamais vu ça de ma vie. Cette fontaine est une foutaise. Je le sais. Je ne suis pas fou.

- Mais tu viens d'où ? T'es qui ? C'est quoi tout ça ? M'énervé-je en tentant de la repousser loin de moi.

Mais mes mains ne repoussent que le vent. L''inconnue a disparu. Il n'y a qu'un faible sifflement, si discret que je ne l'entends presque pas. Je balaye les alentours d'un simple regard pour ne rien y trouver. Elle s'est vraiment envolée.

- Lève les yeux...

Encore cette voix. Mais elle sort d'où ?

En levant les yeux au ciel, je ne vois que cette toile noire. Ce ciel vide de tout; d'espoir et de lumière. Il est froid et triste. Il inspire le désespoir. Cette impression de vide absolu est si grande et absurde, je la sens creuser mon ventre, s'inviter dans mes entrailles. J'observe encore ce ciel quelques secondes, comme hypnotisé par ce néant qui m'écrase ou qui me retient, avant d'y remarquer une anomalie. Une étoile.

- Mon ami ?

Cette voix.

Elle résonne près de mon cœur. Je la sens se confondre à mes battements.

- Je m'appelle Feather.




...

Le secret des étoilesWhere stories live. Discover now