Traumatisme

11 4 0
                                    

Ma peau est valide depuis un long moment. J'en ai même perdu le fil à compter les jours de trêve. Je respire enfin. Mes journées passent et j'entrevoie le bout du tunnel. Mais je ne peux pas effacer le passé, l'oublier comme si mes erreurs n'avaient jamais fait du mal, à moi, aux autres. Tous mes actes, toutes mes pensées s'expliquent par ces moments de flottement, où je ne savais pas si je nageais ou si je coulais. Ces nuits d'hiver et de printemps où sifflaient les cris de l'enfant que j'étais et ces journées monotones à écouter un prof qui, à lui-même, se parlait. Ces repas où l'assiette restait pleine et ce sang qui ne coulait plus dans mes veines. Ces larmes qui dévalaient mes joues creuses et ces cheveux gras que je ne lavais plus. Ces ongles rongés jusqu'au sang et cette peau scarifiée sans effort de maitrise. J'ai essayé trop de fois de refouler ces sentiments que je croyais sans importance, simplement parce que je pensais que les étouffer pouvait les tuer.

Mais c'est moi qui suis morte, pas mes démons.

J'ai reculé trop de fois pour ne pas franchir la barrière qui m'empêchait d'avancer. J'ai cherché trop de fois des excuses pour ne pas entendre que ma santé était en danger, que mon corps ne vivait plus et que mon âme sanguinolait. J'ai souri à trop de gens, certains naïfs, d'autres lucides. Je me suis sourie à moi-même. Et je me suis fait peur. L'horreur qui se reflétait dans mes yeux, je suis la première à l'avoir vu. Mais je suis la dernière à l'avoir comprise. Je ne l'accepte toujours pas. L'accepterai-je un jour ? Ou du moins parviendrai-je un jour à voir dans ces années sombres la petite lumière qui a su m'éclairer ?
Je n'arrive pas à passer devant un buisson ronceux sans penser au jour où il m'a servi d'inspiration pour mentir à ceux qui comptent le plus pour moi. Je n'arrive pas à regarder une série sur le sujet sans éclater en sanglot et sans me revoir assise, par terre, dans ma chambre. Ou bien, allongée, sur mon lit. Ou encore cachée, derrière un mur. Parfois même dehors, sur une étendue d'herbe. Tous ces lieux que j'ai marqué de mon doigt taché de sang. Ces scènes me hantent, jour et nuit. La couleur et l'odeur du rouge me répugnent, j'en ai la nausée à chaque fois que j'y pense. Mes cicatrices me dégoutent. Aucun monstre, pas même le plus horrible, ne m'aurait infligée pareille sentence : je suis mon propre démon.
Parfois, il m'arrive de ressentir les picotements de la lame sur mon bras alors que je suis concentrée sur mon devoir de français. Chaque mot que j'entends me rappelle ces erreurs que je n'assume pas. Maman m'a pardonnée. Papa aussi et ma sœur, m'en a-t-elle déjà voulue ? Je suis la seule rancunière dans cette histoire. Je m'en veux terriblement. La honte me submerge quand je croise les yeux des curieux ou même quand je me fixe, seule devant mon miroir. Je n'y vois que le dégout et l'amertume d'une araignée qui ne sait plus tisser sa toile. Je n'y vois qu'une folle hystérique. Je n'y vois qu'un minable torchon que l'on s'amuse à essorer pour rejeter tout son liquide : le liquide de ses yeux, le liquide de ses veines.
Mes bras se souviennent mais me pardonneront peut-être un jour. Mais moi, moi qui a perdu tout entendement, moi qui a trop crié pour que le son s'entende, moi qui me suis transformée en un objet de décoration qui prend la poussière, moi, je ne me pardonnerai jamais. Jamais.

Je suis marquée à l'eau rouge.
C'est écrit sur mon front.
C'est gravé sur mon corps.
C'est ancré dans mon esprit.
C'est enfermé dans mon cœur.
C'est condamné à me pourrir.

Mais moi,
Retenez,
Je suis une condamnée à vivre.

3 • PyramideWhere stories live. Discover now