Condamnée à tord

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Je suis cette boisson amer, de couleur noire, parfois mousseuse. Je tâche tous ces t-shirt qu'ils portent. Je dégoûte les enfants et nuis aux adultes et je maintiens éveillés les cœurs fatigués qui aimeraient dormir. Je suis cette boisson que l'on boit de trop, chaque jour, dès le matin. Au fil des années je cause mes premiers dommages et l'on me pleure. Je ternis le blanc éclatant de leur dents et accélère les battements de leur cœur. Je suis cette boisson qui semble pourtant apaiser, réconforter, animer...

Mais je ne suis pas le café.
Je suis le poison.

Le poison des autres. Le poison de l'âme. Le poison illusionniste. Le poison liqueur. Je suis le poison qui tue par ses mots. Je suis mortelle. Je vous tue et vous me buvez avec plaisir. Mais au fond, vous me pleurez, vous me crachez. N'est-ce pas ?

Je mérite peut-être de boire mon propre venin, de goûter mon liquide amer. Je mérite de crever comme j'ai tué. Je mérite la mort bien plus que vous bels anges. Je mérite de cracher, dans mon dernier souffle, le pardon qui m'étouffe. Je mérite votre colère, votre haine, votre dégoût. Pourquoi s'obstiner à m'adorer ? Que recherchez vous ? N'êtes-vous pas maso ?

Je suis coupable de mes propres souffrances. Mes souffrances qui sont le fruit des vôtres, que j'ai causées. Je suis coupable. Je plaide. Me voilà à genoux, vos corps étendus face à moi. Je vous pleure, je vous crie.

Certes, mais par dessus tout, je vous nie.

Je refuse de voir l'enfer dans lequel j'ai entraîné des anges. Simplement, parce que ce n'est pas moi. Je suis innocente. Je ne me reconnais pas quand je repense aux cocktails de poison que je vous ai servis sur un plateau d'argent. Non je suis innocente. Madame la juge, ne me condamnez pas. Rien n'était volontaire... Je suis innocente et je le crierai coûte que coûte, même si le monde me fait barrage. Parce que...Parce que j'ai été piégée, enfermée, agressée, touchée, humiliée, manipulée !! J'ai été victime avant tout ! Je vivais dans un corps que je ne maîtrisais pas. Le contrôle de mon existence résidait dans les mains d'une seule et même personne. Mes mots étaient censurés et mes gestes robotisés ! Je ne suis pas coupable de l'emprise dans laquelle j'ai grandi et périt... Je ne suis pas responsable de m'être perdue un seul instant, d'avoir vécu dans la solitude trop longtemps pour m'accrocher au premier rocher sans voir qu'il égratignait plus que ne guérissait !! Je ne suis qu'une simple victime collatérale à laquelle on a fait goûter le vice... Oui, je l'ai élevé bien haut, ce vice, mais je me suis aidée de son échelle. J'ai grimpé, jour après jour, les marches de sa débauche pour finalement croire que je devais partager son mode de vie. Mais mon corps a sombré dans les profondeurs de l'océan noir de l'existence, et j'ai chassé pour me nourrir, oui. Je l'assume. Pourtant je suis innocente, croyez-moi !
Je me suis égarée très certainement du droit chemin. Seulement aujourd'hui, je marche en ligne droite, certaine de ma destination. Ne condamnez pas une âme qui a déjà purgé sa peine !! Madame la juge, croyez en moi. Croyez en mon discours, en mes capacités, au fait que je suis capable du meilleur ! Madame la juge, dites-moi, rien qu'une fois, que mes erreurs ne sont pas écrites sur mon front par le liquide chaud de mon sang noir ! Dites moi que je ne suis pas résumée à une âme perdue, folle, éteinte, brûlée ! Rassurez-moi, dîtes moi que je suis libre !! Libérée de mon passé... Ne sonnez pas vos trois coups. Pitié, épargnez-moi ! Je vous en supplie, je suis innocente !! Croyez-moi..je suis innocente !! Madame la juge !! NON !

*La juge frappe trois coups*

- La juge a rendu son verdict. Madame la juge vous condamne aux remords incessants, aux larmes infinies, au souffle coupé, au cœur éteint, au vide renversant. Madame la juge vous condamne à cette pénitence à perpétuité. L'audience est terminée.

Je m'écroule. Tout tourne autour de moi. Je sens mes oreilles siffler mais je parviens à rassembler mes dernières forces pour tirer de ma poche une petite fiole. J'ôte le couvercle de mon poison et je vide le contenu au fond de ma gorge.

Crève salope

Mon corps s'étend solennellement sur le sol, parmi vous, mes anges.
Le poison est mort, avec vous.
Reposons nous, ensemble.

Mais n'oubliez pas.
Je suis innocente, moi Madame la juge.

3 • PyramideWhere stories live. Discover now