Chapitre 41

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_ Je vous interdis de quitter le palais.

_ Ne vous y mêlez pas Shama. La menaça-t-il les yeux assombris en la contournant d'un pas décidé. Toutefois, la brune ne lésinait pas sur les moyens pour l'empêcher d'aller à ses ennemis, allant jusqu'à le confronter devant ses innombrables guerriers qui attendait ses ordres, enroulés dans des foulards sombres.

_ En étant consumé par cette soif de vengeance, vous manquerez de vigilance. S'inquiéta-t-elle en écartant les bras, symbole de son obstination.

Elle ne voulait pas le laisser partir, pas dans cet état en tout cas.

Seulement, les chairs lacérées et les bronches obstruées de son cadet avaient réussi à aveugler Asad, le rongeant férocement jusqu'à faire couler une larme solitaire sur sa joue, car oui, il avait pleuré et elle a été le témoin silencieux de sa détresse.

_ Attendez demain...

_ Ne le suggérez même pas ! Ne prononcez pas une chose qui pourrait me pousser à vous détester.

Chaque mot portait en lui une intensité tangible. Chaque syllabe fendait l'air comme une lame acérée tandis qu'elle se tenait là, accueillant cet avertissement sans rien laisser transparaître.

Elle ne pouvait pas céder. Son intuition le lui interdisait.

_ Vous seriez prêt à m'abandonner dans ce palais seule alors que vos ennemis semblent avoir perdu la raison ?

_ Je serais prêt à vous abandonner pour vous protéger. Ici, mes ennemis ne vous atteindront jamais.

_ C'est ce que vous n'arrêtez pas de faire, mais cette fois, je ne vous attendrai pas. S'emporta-t-elle en le dépassant d'un pied ferme, prenant place dans l'étroite cabine à son tour.

_ Que faites-vous ?

_ Je vous accompagne.

_ Ne mesurez-vous pas l'absurdité de votre comportement ? Argua-t-il en atteignant les limites de sa patience.

_ Je refuse de vous laisser partir seul. La guerre n'est pas une chose aisée qu'on mène sur un coup de tête.

_ Et c'est vous qui m'apprenez ça ? C'est votre présence qui changera quelque chose peut-être ?

Non.

Sa présence n'allait rien changer et elle le savait, toutefois, elle espérait qu'en s'acharnant à le suivre il reportera sa vengeance pour un jour nouveau. Un jour lucide.

Mais, c'était visiblement trop demander.

_ Lâchez-moi ! Ne me touchez pas ! Hurla-t-elle à l'intention des deux soldats qui s'amusaient à la ramener de force jusqu'à l'intérieur sous le regard aiguisé de leur chef.

Imperturbable, Asad restait insensible à ses plaintes qui se muait peu à peu en des supplications lointaines, camouflées par l'écho de ses pensées.

L'image de son frère ne cessait de le heurter, troublant son esprit et empêchant tout grain de paix en cette nuit glaciale, et dans son impatience, malgré sa fatigue, il se tint immobile, attendant avec fermeté le retour de ses hommes pour aboyer ses directives.

Bien qu'il maintenait son oreille sourde, le roi ne nierait point comprendre les doutes de la jeune femme.

Elle craignait pour sa vie et ne trouvait pas de sens derrière cette impulsivité, mais ce qu'elle ignorait, c'est que son désir de goûter aux effluves du sang aujourd'hui avant demain ne découlait pas de l'impudence.

C'était purement réfléchi.

_ Toutes les troupes ont été mobilisées votre majesté. Annonça Ahmed en le rejoignant, dissimulé derrière un sombre voile à son tour.

_ Alors qu'est-ce que nous attendons ? Plus vite on en finit mieux c'est.

Son frère, sa bien-aimée... tous attendaient son retour, et dans cette désolante probation, Asad se promit de rentrer avant l'aube pour les consoler d'une victoire lancinante.

...

_ Ne soyez pas imprudente et descendez de cette voiture madame. Somma Razia en témoignant de la folie de la jeune femme, invitant les domestiques à l'immobiliser d'un décent coup d'œil.

_ Non, le cheikh est en danger et je peux le pressentir. Elle répondit en s'accrochant plus fermement au volant de la berline qui ornait le majestueux garage où elle s'était faufilée plus tôt.

_ Et qu'est-ce que votre présence y ferait ?

_ Je pourrais le raisonner.

_ Il vient de témoigner de la douleur de son propre frère et vous pensez pouvoir le raisonner ?

_ Oui ! Non, lâchez-moi. Hurla-t-elle une énième fois à l'intention des innombrables hommes qui avaient échappé à sa prudence.

_ Enfermez-la dans la chambre cette fois et ne vous laissez pas amadouer. Trancha la vieille dame en ignorant délibérément les cris étouffés de la jeune femme qui se faisait tirer sans pitié jusqu'à l'étage, ravie d'avoir pu la piéger.

_ Non ! Ne faites pas ça. Cria Shama en se débattant du mieux qu'elle pouvait ; Laissez-moi sortir.

Seulement, les domestiques du palais ne semblaient point accueillir ses ordres.

Malgré sa relation naissante avec le cheikh, ses mots n'avaient aucun poids, l'abandonnant entre les bras d'une inquiétude cuisante... la laissant seule dans cette pièce devenue hostile.

Dans sa détresse, les quatre murs qu'elle avait pris l'habitude d'admirer depuis son lit se métamorphosaient, la tenant prisonnière de cet huis clos.

Les draperies, les rideaux, les meubles... Tous prenaient des airs menaçants.

Et, comme si le temps lui-même avait été capturé par les barreaux en fer forgé de cette chambre, il ne bougea pas. Il restait figé dans un lourd silence.

Que pouvait-elle faire maintenant ?

Shama avisa le balcon, hésitante.

C'était sa dernière possibilité mais c'était également un suicide, toutefois, c'était un risque à prendre si elle voulait sauver le cheikh du mauvais présage qui obscurcissait son âme.

Les pas flageolants, la jeune femme approcha le bord en jetant un furtif coup d'œil par-dessus la rambarde, calculant la distance qui la séparait du sol.

De maigres pauvres mètres.

Ou presque.

_ Comptez-vous sauter ? Chuchota une voix masculine étonnamment proche d'elle, la stoppant dans son élan.

Dans un hoquet d'effroi, Shama laissa retomber sa jambe sur le carrelage en se retournant vivement, prête à affronter son invité.

_ Ne vous inquiétez pas, c'est juste moi. Déclara l'intrus en levant les mains en signe de paix comme pour la rassurer.

_ Que faites-vous là ? Razia vous a permis de me libérer enfin ? Demanda-t-elle en reconnaissant l'un des domestiques qui l'avaient trainé jusqu'à la chambre plus tôt.

_ Non, ce n'est pas Razia qui m'envoi. C'est ma conscience.

Inquiète, elle plissa des sourcils en cherchant à saisir où il voulait en venir, son cœur abritant un mince espoir.

_ Que voulez-vous dire par là ? Qu'insinuez-vous ?

_ Que j'ai tout aussi peur pour sa majesté que vous madame. Que je prie Dieu comme vous de nous le rendre en un seul morceau.

_ Et qu'est-ce que ça a à voir avec votre venue ?

_ Disons que je cherche à vous aider. Susurra-t-il dangereusement en dissimulant parfaitement son sardonique sourire ; Je peux vous aider.

_ Et comment ? Comment pouvez-vous m'aider ? S'enquit-elle de demander, les yeux étincelants, chaque iris reflétant une confiance renouvelée... ravivée.

_ Vous voulez rejoindre le cheikh, et moi madame, je peux vous y emmener.

ShamaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant