Chapitre 10 - Zacharie (Partie 1)

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Zacharie était devenu un homme et sa fuite, un lointain souvenir

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Zacharie était devenu un homme et sa fuite, un lointain souvenir. Il flottait désormais, nu et déboussolé, au milieu d'une mer démontée qui lui léchait le visage. Elle le soulevait, le propulsait dans les creux, sous la voûte écrasante des roulis, au cœur de la tempête. Les bourrasques soufflaient les vagues en une myriade de gouttes, une bruine insoutenable qui lui brûlait les yeux. Pourtant, l'homme ne ressentait pas la peur, pas plus qu'il ne ressentait la douloureuse morsure du sel. Il avait confiance en Valta, le dieu Océan, confiance en sa toute-puissance face à Tuuli, le Brouilleur d'Écume, son jumeau céleste. Ce dernier avait beau déployer ses aquilons tumultueux pour agiter la surface marine, Valta l'emportait toujours. Zacharie s'en persuadait. Pas de doute, il le protégerait du malheur de sombrer. Tuuli s'essoufflerait. La mer s'adoucirait comme aux origines du monde.

Ainsi, ballotté au grès des remous, il ne luttait pas. Il offrait sa vie au bon vouloir de sa divinité. Mais tout allait si vite. Lorsqu'une déferlante s'effondrait sur lui, il retenait sa respiration tant bien que mal, puis péniblement, à bout de force, remontait à la surface, en quête du précieux oxygène chargé d'embruns poisseux. Inlassablement, il recrachait l'eau qui s'insinuait dans ses poumons et il s'abîmait à nouveau sans même réfléchir, avec la conviction qu'il échapperait bientôt à ce calvaire. Malgré tout, il s'épuisait à supporter le vacarme des vents déchaînés, à ignorer son corps endolori, fouetté par les lames aquatiques. Paralysé par les eaux glacées, il en oubliait comment nager, comment retrouver l'air libre et salvateur. Alors, la prière en murmure, un dernier espoir au cœur, il se laissa couler dans les ténèbres oppressantes et silencieuses.

Les bulles fugueuses s'échappèrent, messagères d'une ultime supplique.

« Valta », charriaient-elles.

Zacharie tenait bon.

« Valta », jusqu'à la surface, au-delà de l'écume et la houle.

Immobile, en suspension, l'homme y croyait encore. Loin, très loin au milieu des troubles liquides, une lueur inexplicable attira son attention. Comme par magie, la mystique et gigantesque Cloche des Sombreurs reposait sur les récifs abyssaux. Les chants des priants qui y officiaient traversaient les couches marines jusqu'à lui.

« Valta », marmonna Zacharie.

L'Océan lui répondit dans toutes les directions.

« Que veux-tu, toi l'Éphémère ? »

Me réveiller !

— As-tu conscience que ma toute-puissance a ses limites ? »

Les chants se firent plus bryuants.

Au milieu des eaux, une masse obscure et imposante fonçait vers lui. Lorsqu'elle s'arrêta brusquement, il la reconnut avec horreur. Une tête immense, campée sur un interminable corps ophidien recouvert d'écailles. Aucune bouche, aucun nez, mais un œil unique et doré à la pupille verticale qui le dévisageait, sondait son âme et semblait l'engloutir tout entier. Cette créature mythique appartenait à son imaginaire.

Depuis la nuit des temps, elle hantait les cauchemars de son peuple, les Vogueurs. Beaucoup en parlaient, beaucoup la décrivaient sous différents aspects, mais aucun ne l'avait jamais vue réellement. Elle imprégnait l'inconscient collectif à travers les paroles sacrées des Sombreurs. Ceux-ci, dans leurs louanges à Valta, racontaient que là où l'océan devient insondable et rejoint le ciel obscur, les forces divines, marines et aériennes avaient donné naissance à un serpent cyclopéen titanesque que les hommes nommaient Niellä, l'Avaleur de Monde. De nombreux marins confirmaient cette légende à travers des récits délurés, arrosés de turska, l'alcool de morue. Les croquis singulièrement concordants de la créature, rapportés par ceux qui osaient s'aventurer à la limite des eaux connues, nourrissaient les fantasmes les plus fous. On affirmait même que plonger son regard dans celui de la bête permettait résoudre les mystères de la vie, et de répondre aux questions existentielles les plus alambiquées.

Et elle était là ! Juste devant lui, telle une vérité irrationnelle qui occupait tout l'espace de ses enroulements hypnotiques. Derrière son propre reflet agonisant, l'œil captait toute son attention. Il miroitait de détails inconcevables. L'homme y contempla l'histoire entremêlée de milliers de soleils, les âmes esseulées de ses ancêtres aux armures rutilantes, ses propres démons écrasés avec vigueur dans les recoins de son cœur, et bien d'autres notions qui lui échappaient totalement et qu'il ne pouvait décrire que par leurs couleurs foisonnantes et leur forme fractale. Mais, dans l'infinité de cette lucarne vertigineuse, Zacharie, ensorcelé, ne discerna aucune réponse. Pas même une ébauche. Rien.

Il se noyait, apaisé, prêt à s'abandonner.

Alors, à la surface de l'iris, un changement s'opéra. La pupille muta, s'étira et dévoila un gouffre couronné d'or à la profondeur dantesque. Sur les parois torturées pointaient d'incalculables rangées de dents acérées. Dans les replis, à l'abri et oubliés de tous, quelques drakkars gisaient comme de ridicules morceaux d'algue verte coincés entre de monstrueuses gencives. Devant ce spectacle, Zacharie paniqua en s'accrochant à son dernier souffle comme à un radeau de fortune. Il aurait voulu donner un coup de pied, s'élancer loin du cauchemar, percer les strates qui l'éloignaient du dehors.

Un vif courant marin le rabattait vers l'inévitable. Un vortex germait dans la gorge de l'Avaleur de Monde. Autour de lui, l'eau vibrait sous la pression destructrice imposée par la créature. Plancton, poissons, roches et végétaux, le tourbillon infernal emportait tout. Zacharie tendait les bras. Tant bien que mal, il luttait en s'agrippant aux voilures fantomatiques éperonnées sur les aiguillons masticateurs, mais elles lui glissèrent entre les doigts. Était-ce le secret de Niellä, la puissance de son Dieu, la seule issue possible ? Sa tête explosait. Il bascula. Plus d'espoir. Plus d'air. Instinctivement, il ouvrit la bouche. L'eau s'engouffra.

L'eau ? Quelle eau ?

Il inspira profondément. Tout avait disparu.

Ses poumons douloureux ventilaient à plein régime. Ils se gonflaient d'air lourd et sec. L'oxygène circulait désormais. Son torse brûlait, s'activait, se déployait dans un spasme primaire. Il respirait comme pour la première fois. Il respirait vraiment. Avait-il rêvé ? Valta avait-il exaucé son souhait en l'extirpant de ce cauchemar ? La tête lui tournait. L'odeur piquante des lieux lui évoquait la ferraille rouillée des forgerons Sombreurs. Ce souvenir s'imposait sans qu'il ne sache trop comment.

Lorsqu'il ouvrit les yeux pour contempler les lieux, la lumière agressive perça sa rétine. Sa main engourdie chercha à le protéger des rayons, mais elle resta figée, paralysée. Ses sens gagnèrent en intensité. Il discerna d'abord la pression des liens qui le maintenaient solidement allongé, comme des tenailles en cuir sur ses poignets et ses chevilles. Impossible de se débattre. Puis, il sentit la caresse du tissu sur son corps nu, une couverture l'enveloppait des orteils aux épaules. Il voulut crier. Sa voix s'étrangla. Sa langue pâteuse retombait lamentablement contre son palais. Il ne contrôlait plus rien. Il s'enlisait dans des labyrinthes éthérés débouchant entre son ailleurs et son ici, entre sa pleine liberté et cette soudaine captivité.

Il tournoyait, immobile, le sommeil comme seul refuge.

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