Chapitre 28 - Alice (Partie 2)

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Après une heure de marche à travers l'étendue de champs moissonnés qui bordaient la cité, Alice s'arrêta pour souffler et scruter les alentours

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Après une heure de marche à travers l'étendue de champs moissonnés qui bordaient la cité, Alice s'arrêta pour souffler et scruter les alentours. Sur l'horizon, la pollution urbaine estompait les barres d'immeubles austères que l'adolescente exécrait, tandis qu'à un mètre, une forêt de pins arrêtait son regard. L'édifice de bois, obstacle à la modernité, dressait ses troncs nus vers le ciel et intéressait la jeune fille comme d'autres de son âge s'intéressent au shopping. Alors, pleine d'entrain, Alice laissa un sourire se plaquer sur son visage, tira sur les bretelles de son sac à dos et s'enfonça entre les arbres.

Derrière la frontière qui séparait les devoirs de la liberté, l'adolescente retrouva une nature accueillante et paisible : le ronronnement de l'autoroute avait disparu comme par magie au profit de quelques pépiements et du craquement agréable que les aiguilles produisaient sous ses baskets. L'azur s'avérait désormais plus profond sous le couvert des cimes et seule une traînée blanchâtre éraflait le ciel en dénonçant le passage d'un avion. Tout ici cherchait à apaiser l'esprit du citadin, mais trop peu comprenaient l'intérêt de se couper du monde, d'arrêter le temps, de troquer la grisaille pour la verdure, même en cet étouffant mois d'août ; les vacances s'achevaient sur une canicule infernale et, fort heureusement, les sous-bois donnaient matière à se rafraîchir.

Sa destination bien en tête, Alice accéléra le pas. Une longue tresse multicolore sautillait dans son dos, ses jambes affichaient quelques égratignures et son cœur cognait à l'allure de sa marche. Alors, le calme ambiant plongea la jeune fille dans une intense introspection ; elle connaissait le chemin sur le bout des doigts pour l'avoir emprunté tout l'été, comme les étés précédents, et même si ses yeux s'accrochaient aux décharges sauvages qui pointaient par endroit, ils se noyaient avant tout dans les bons moments passés à grimper aux arbres, à fouiller chaque recoin de ce labyrinthe forestier et à rire, à boire, à s'aimer - se désaimer - entre amis, les siens, ceux de son grand frère - surtout ceux de son grand frère.

Alice y attachait une importance vitale. Elle savait que tous les enfants rêvent d'aventures, mais que seuls quelques-uns mettent leur plan à exécution. Son groupe était de ceux-là. Ils formaient un cercle soudé de révoltés, bercés par l'illusion qu'en grandissant, chacun respecterait leur pacte fraternel, convaincu que leurs routes resteraient parallèles, voisines, et que leur origine commune, ces blocs étagés de béton qui ne les accueillaient que pour la nuit, deviendrait leur fierté, un lien impossible à rompre quoi qu'il arrive. Alice espérait que la rentrée prochaine ne changerait rien à leurs habitudes, que tous se souviendraient de cet exceptionnel été et qu'ils reviendraient l'année suivante pour partager leurs douleurs, leurs blessures, leurs joies. Elle ne se sentait à l'aise qu'avec eux. Pour rien au monde, elle ne voulait que s'arrêtent leurs vadrouilles à travers ce royaume farouche dont ils étaient les princes. À quelques jours de l'ouverture des classes, le temps devenait leur pire cauchemar. Tous luttaient contre lui avec l'avarice d'un vieux banquier sans scrupule : ils tenaient le compte des heures restantes, grinçaient des dents à chaque dépense et tentaient de trafiquer la course des secondes, mais la mélancolie avait raison de chacune de leurs activités. La fin approchait et elle les enfermerait bientôt entre les lignes de leurs cahiers.

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