Chapitre 17 - Zacharie (Partie 6)

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La ferraille suppliciée rugissait

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La ferraille suppliciée rugissait. Elle perçait les tympans des passagers cramponnés à leurs derniers espoirs. Les murs se renversèrent en planchers et plafonds. Zacharie se plaqua au sol du couloir transversal. Derrière lui, le chemin qui l'avait mené au carrefour s'était transformé en un dangereux boyau vertical. Pris de vertige, il recula à quatre pattes et se recroquevilla dans un coin. Il n'aurait jamais dû quitter sa prison ni suivre le colosse. De tout côté, le vide distillait son emprise. Yeux clos, mains en coupole sur le visage, il se réfugia dans la prière. Il implorait Renpohja, souverain des Abysses, dans une posture enseignée par les Sombreurs qui mimait le hublot des scaphandres. En apposant ainsi les paumes, il constituait un espace sacré, une bulle artificielle où il pouvait communier avec le divin. Entre deux respirations, Zacharie y retrouvait un courage bien vite chassé par les lamentations des geôliers. Voilà donc le sort que réservait Tuuli aux humains arrogants qui osaient dompter ses courants aériens. Le Brouilleur d'Écume avait manifesté son courroux sous la forme d'une nuée d'oiseaux, une nuée de ses fils, uniques résidents de son domaine céleste.

« Zacharie ! » entendit-il soudain.

Portée par les bourrasques, la grosse voix du colosse arrivait jusqu'à lui. Ses jambes se ramollirent lorsqu'il comprit qu'elle sortait des balcons extérieurs. C'était là qu'il avait vu Yalthia pour la dernière fois alors qu'ils combattaient ensemble. Il se traîna littéralement jusqu'à l'ouverture. Entre deux poutres, il croisa un regard, exact reflet du sien, celui d'un geôlier prostré sur lui-même. On y lisait la terreur, celle qui réduit l'homme mûr à l'état d'enfant apeuré. Zacharie déglutit. Un hurlement sourd lui disait de continuer ses prières. Il l'ignora et reprit sa route, un genou devant l'autre. Il bâillonna son instinct ; l'enfant se terra derrière l'homme quand il passa sa tête rousse au-dessus du vide. Sa gorge s'emplit des rafales. Il s'étouffait des mots que lui inspirait ce spectacle insensé.

Là, presque à portée de bras, Yalthia se retenait à la carcasse tordue.

Et le blondinet évanoui reposait toujours sur son épaule.

. . .

Mobius sentit ses paupières se décoller comme après un bonne nuit de sommeil. Des fourmillements remontaient ses membres rigidifiés par la torpeur. Lorsqu'une bourrasque lui vrilla les oreilles, il s'agrippa instinctivement aux larges épaules du colosse. Ce dernier irradiait d'une chaleur fiévreuse et sa peau, sous ses vêtements, semblait plus solide qu'un roc. Complètement crispé, il étreignait le délégué de sa lourde main. De l'autre, il se retenait à l'une des passerelles qui longeaient le flanc du Présage. La grille qui servait habituellement de plancher lui permettait d'y loger ses gros doigts.

Derrière ses mèches blondes, Mobius découvrit alors le désastre d'une nacelle complètement renversée. Plus bas, le vide terrifiant s'imprima sur sa rétine. Aucun verrou émotionnel n'empêcha sa panique. Il avait retrouvé un corps, le sien, son corps. Des cris incontrôlés s'en échappaient. Le vent les lui déroba un par un, alors que ses cordes vocales s'enflammaient, en vain.

« Du calme, l'asticot ! lui intima le géant.

— Mais, mais, mais... qu'est-ce que vous... ?

— Du calme, j't'ai dit ! Je suis pas dans la plus confortable des positions, là !

— Remontez-moi ! Remontez-moi ! Remontez-moi ! mitrailla Mobius.

— Oh ! Tu veux que j'me débarrasse de toi, c'est ça ? »

Le délégué se contracta, figé comme une moule à son rocher.

« Je bouge plus ! Promis !

— Zacharie ! » hurla le géant.

Une touffe dépassait du chambranle juste au-dessus d'eux. Plus haut, au-delà du ballon, des colonnes de fumée se découpaient sur le ciel bleu. La nacelle ne tenait plus qu'à un fil. Sous la toile, les troupiers s'occupaient d'en renforcer les fixations. Véritables acrobates, ils se balançaient sans peur, tissaient leurs câbles et les enroulaient, tendus, autour des longerons.

« Aide-moi à le remonter ! Il faut faire vite !

— Qu'il attrape ma main ! »

Un bras hésitant fait son apparition. Mobius tend le sien pour l'attraper. Le colosse le guide et se débrouille pour le soulever bien haut. Les doigts s'étirent. La passerelle tremble. Dangereusement. Ils luttent contre l'équilibre instable, les intempéries et la carlingue branlante. Ils luttent pour une poignée de main salvatrice à bout de bras, à bout de doigts, au bout de leurs limites. Zacharie se penche un peu plus en avant ; un troupier débrouillard vient à son aide. C'est beau à voir ! Il lui maintient les jambes. On en oublie les haines. Un tremblement. L'espoir naît lorsque leurs doigts se frôlent. Un tremblement plus fort. La passerelle lâche. Ils tanguent. Elle entraîne les deux hommes dans sa chute. La passerelle lâche. L'espace d'une seconde, Mobius s'imagine en oiseau. Il ouvre les bras comme pour planer. La passerelle lâche et voilà qu'ils tombent, lui et le géant, soufflé dans le grand vent, l'un contre l'autre enlacés.

La main tendue s'éloigne, le Présage avec elle. La descente est inévitable.

Comme l'eau, l'air glisse sur eux, chahute leurs vêtements, les aveugle de ses milliers d'aiguilles. Dans moins d'une minute, ils s'écraseront. C'est sûr ! Ils rejoindront les soldats passés par-dessus bord, broyés sur les rochers, les crânes ouverts, les corps en lambeaux. Mobius sait. Il sait qu'il va mourir. Il voudrait mourir seul. Une pensée le soulage : ils ne souffriront pas. C'est peut-être mieux ainsi, non ? Alors il se libère. Il repousse le géant. Les bras brûlants le lâchent. De vagues mouvements l'interpellent. Il ose jeter un œil qu'il referme aussitôt.

Un liquide chaud asperge son visage.

Juste en dessous, le colosse se tord de douleur. Sa chemise se déchire dans un reflet bleuté et cristallin. Soudain, sa lourde main l'agrippe. Mais qu'il le laisse tranquille ! L'autre le tire vers lui. Ils se débattent, virevoltent, bousculés tous les deux. Encore quelques secondes. Les branchages fouettent sa peau.

Quelques oiseaux prennent peur. S'envolent.

Suit le fracas de chair et d'os. Le silence.

Plus rien ne bouge.

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