Arabesque (tome 1) : Entre deux danses

Partie 11 : Onzième Jeté

Pov Maryane :

Je ressentis l'humeur noirâtre de Shira avant même de l'apercevoir, j'imagine que l'électricité dans l'air était un signe avant-coureur.

─ Sortons.

Je me retournai et eus un mouvement de recul involontaire.

Mon dieu...

Les légers cernes qui marquaient habituellement sa peau laiteuse s'étaient transformés en valise. Violets et imposants.
Un cercle rouge, signe d'une fatigue extrême, était même présent dans ses yeux, exprimant le désarroi.
Ils s'étrécirent en me voyant la dévisager.

─ Il y a un problème ?

Je déglutis.

─ Non, aucun.

─ Bien. Comme je le disais, nous sortons.

Ok...

Je l'ai suivie dehors, sans vraiment faire attention à sa posture.
J'aurais dû.
Peut-être que le cliquetis de sa jambe aurait pu m'interpeller si je n'étais pas aussi inquiète pour sa santé mentale.

Nous marchâmes une dizaine de minutes, traversant l'Opéra jusqu'à déboucher sur une usine désaffectée.

Une usine désaffectée ?

Curieuse, je la laissai faire, attendant la suite.

Elle s'arrêta au milieu de l'endroit, à côté de vieux tonneaux rouillés et de débris de verre.
Les murs étaient marqués de tags noirs et rouges, criblés sous les balles.

Charmant...

─ Pose ta question.

Elle me faisait face, le dos particulièrement droit et les épaules rentrées.

─ Très bien. Pourquoi sommes-nous ici ?

─ Je voulais te sortir d'une situation habituelle, te faire perdre tous tes repères.

C'est sûr que là, on ne peut pas faire mieux...

─ Pas de danse aujourd'hui.

Hein ?

─ Quoi ?

─ Pas. De. Danse. Aujourd'hui.

─ Pourquoi êtes-vous là alors ?

─ J'ai dit que la danse ne serait pas le programme du jour, pas que tu ne feras rien.

─ Traduction ?

Elle fit alors rouler un haltère dans ma direction, et je le pris en fronçant des sourcils.

─ Tu vas t'entrainer. On commencera par des séries simples, de la boxe et de la natation synchronisée.

Hein ?

─ Que...?
─ Je sais. Tu es une danseuse et tu t'attends à ce que je retravaille ta chorégraphie. Ce n'est pas ce que je souhaite que tu fasses. On va reprendre tout à zéro. Ton souffle, ton endurance, tout sera retravaillé... Je veux que tu reviennes à cent dix pour cent de ta forme, que tu les écrases toutes.

─ Euh...oui ?

─ Commence.

Je m'appliquai à la tâche avec une seule idée en tête : rendre son objectif réel.

Le temps s'écoulait à un rythme effréné.
Shira était impitoyable : ses exercices relevaient d'un niveau de concentration qui battait tous les records.
Nous enchainâmes les disciplines pendant plus de huit-heure trente, jusqu'à ce que je finisse affalée par terre, à bout de force.

─ C'est tout pour aujourd'hui.

Elle détourna le regard.

─ Très bien...je vous remercie.

Pourquoi a-t-elle l'air si gêné ?

─ Vous vous sentez mieux ?

─ Oui.

Menteuse...

─ Je n'...irai plus à l'Opéra. Nous viendrons ici et seulement ici, me fit-elle d'une voix éteinte.

─ D'accord.

─ Retravaille ta chorégraphie.

Elle partit sans un regard, avec une telle posture que j'eus l'impression qu'elle portait le malheur du monde sur ses épaules.

Que se passe-t-il réellement ?

Il y avait peu de choses dont j'étais certaine, mais celle-ci n'en faisait pas partie.
J'étais sûre de ce que j'avançais : cette histoire était en train de la tuer à petit feu.
Et personne ne pouvait rien y faire.