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Une fois chez elle, Alice se dépêtre de ce manteau humide et de ses escarpins, qui risquent de laisser des traces sur un sol propre. Son fils court dans ses bras et il n'y a que cela qui puisse la faire sourire par un si mauvais temps et dans une si mauvaise passe.

— Alors mon amour, comment tu vas ?

L'enfant, encore jeune, répond par des sons abstraits qu'Alice interprète comme positifs. Elle le serre contre elle pendant qu'il énumère le nombre de gouttes d'eau qui s'apprêtent à ruisseler sur le dos de la juge. Trempée jusqu'aux os, Alice se relève en laissant son enfant jouer avec des cubes colorés.

— Bonsoir Nadia. Tout s'est bien passé, Paul a pu se reposer ?

— Bonsoir Madame Nevers. On a bien joué, il a fait une sieste d'une heure et demie et il vient de finir de manger. Il n'a plus qu'à digérer avant d'aller dormir.

— Très bien, merci. Bonne soirée !

— Merci, à demain !

— À demain Nadia.

Un échange de sourires se fait avant que la porte ne se referme sur une baby-sitter en qui Alice a amplement confiance.

* * *

Paul est couché, Alice est encore sur cette affaire faramineuse qui ne l'intéresse pas vraiment. Ses pensées sont pour le père de Paul, qu'elle vient tout juste d'emprisonner pour trafic de diamants. Il lui manque et elle n'ose pas aller lui rendre visite. Quand le commandant est arrivé, c'était avant qu'Alice n'accouche. Il l'a aidée sans vraiment la connaître, c'est pour cela qu'elle lui est reconnaissante aujourd'hui.

Son téléphone de fonction vibre sans cesse : elle lui accorde un regard rapide avant d'y lire le nom du correspondant.

— Allô.

— Madame le juge, je tiens un truc.

— Il est vingt-deux heures douze, Marquand. Vous ne croyez pas que ça puisse attendre demain ?

— Demain c'est dans pas longtemps, autant que je vous en fasse profiter maintenant !

En soupirant, elle se blottit dans son plaid qu'elle étend sur la longueur du canapé.

— Notre Roussel était parfait à nos yeux, sauf qu'il n'est pas tout blanc !

— Vous pouvez arrêter le suspense ? J'aimerais aller dormir...

— Ne me dites pas qu'à cette heure-ci vous n'êtes pas sur le dossier. Je commence à vous connaître, madame le juge. Si vous ne dormez pas, c'est que vous n'êtes pas encore allée vous coucher.

— Vous n'avez pas tort. Alors, j'attends toujours pour notre victime.

— Il a participé à plusieurs manifestations contre les violences faites aux animaux. Il aurait été violent plusieurs fois avec des éleveurs.

— Pourquoi est-ce qu'on n'a rien trouvé sur lui ? Ça ne passe pas inaperçu ça, pourtant.

— Ça date d'il y a longtemps et puis les sites ont été supprimés depuis. Il est reparti sur de bonnes bases, d'après ce que je lis sur le blog.

— Je prends note. Merci Marquand.

Le juge écrase un bâillement avant de prêter attention à ce qu'il se passe derrière le combiné de son commandant. Elle croit entendre une voix de femme.

— Vous n'êtes pas seul ?

— Hein ?

— Euh... vous... tout va bien ?

— Oui, pourquoi ?

— J'entends des voix... vous êtes dehors à cette heure-ci ?

— Je suis chez moi madame le juge, ne vous inquiétez pas pour moi. Et avant que vous ne redoutiez qu'il y ait une présence chez moi, je vous arrête tout de suite : c'est ma fille qui vient de me demander de baisser le ton. D'autres questions ?

— N-non... je...

— Bonne nuit.

— À vous aussi, Marquand.

* * *

— Elle est intrusive à un point ! Je le crois pas...

Ses chuchotements parviennent aux oreilles de sa fille, dont il discerne difficilement les traits dans cette pénombre.

— Te plains pas, ça veut dire qu'elle tient à toi.

— Juliette ? Qu'est-ce que tu fais encore là ? Je te signale que t'es censée dormir.

— Je veux bien, mais les appels à dix heures du soir ne favorisent pas mon sommeil, papa.

— Pardon, c'est vrai que j'ai pris l'habitude de parler fort. File te coucher sinon ta mère va m'accuser de t'empêcher de dormir.

— Ce qui ne serait pas totalement faux.

— Sauf qu'après, elle ne voudra plus que tu viennes ici !

— Je m'arrangerai avec elle ! Je me sens bien avec toi et même si t'es presque jamais là, ça me fait plaisir de faire un peu partie de ta vie.

Elle s'asseoit, ne prenant pas en compte les réprimandes de son père qui tente de l'inciter à aller se coucher.

— Dis, c'était ta juge au téléphone ?

— C'est pas "ma" juge, Juliette.

— OK, pardon. Elle t'a demandé si t'avais une copine ?

— Non, elle a entendu ta voix et elle a pensé que j'étais avec quelqu'un.

— Et je ne suis pas quelqu'un...?

— J'ai dit que tu étais ma fille, c'est tout.

— Et tu ne te demandes pas pourquoi elle se questionne sur le type de personne qu'il y a chez toi tard le soir ?

— Je pense plus à l'enquête qu'à l'état-d'âme d'une collègue, tu vois.

— Ça sent la jalousie à plein nez.

Il ne fait plus attention aux fausses allusions de sa fille. Elle disparaît dans la nuit et, sous la couette, espère enfin que son père trouve une femme qui le fasse changer. Le commandant repense à ce qu'a dit sa fille. Dans un sourire, il chuchote, encore plus bas cette fois-ci :

— N'importe quoi !

Dans tes yeuxWhere stories live. Discover now