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                Pendant leur marche sans parole, Charles dévisagea l'infirmière Jeanne sans aucune gêne. Sous la faible lumière des lustres usés, le visage de la grosse femme semblait froid comme une porte de prison fermée à clef. Ses lourdes paupières retombaient sur ses yeux pleins de sévérité et ses lèvres pâles surmontaient un menton grossièrement proéminent. Ce visage d'une rondeur excessive était surmonté d'un chignon à moitié défait, des mèches retombant négligemment sur son grand front. Lorsque Charles examina avec plus d'attention son regard, il remarqua que celui-ci le fixait avec une dureté effrayante. L'homme enfonça alors les mains dans les poches de son manteau d'un air coupable et se concentra sur les lieux. L'intérieur de la bâtisse était à l'image de son salon, mélancolique et repoussant. Le papier peint hideux était violâtre et s'effilochait par endroit ; chaque mur était recouvert d'au moins un miroir, parfois brisé ; on trouvait des guéridons à chaque coin de pièce, portant un vase de fleurs fanées, et il régnait, dans toutes les parties la bâtisse, une forte odeur de moisissure et d'humidité. Le duo traversa ainsi une panoplie de pièces insalubres et de couloirs à la décoration désuète, l'infirmière Jeanne ouvrant et fermant chaque porte à clefs, son énorme trousseau à la main. Enfin, ils s'arrêtèrent devant une porte close puis un silence s'installa, un moment d'inaction gênant. Charles allait demander à l'infirmière d'ouvrir la porte lorsque celle-ci se retourna vivement vers lui, essayant de chuchoter avec sa voix grave :

« Faites attention, elle n'est pas celle que vous pensez... Elle n'est pas celle que tout le monde pense... »

L'homme fronça les sourcils, perplexe. Il essaya d'intervenir, perdu, mais la femme l'interrompit :

« Je sais que c'est votre sœur mais je vous en supplie, croyez-moi, il en va de votre vie... Elle peut être dangereuse, plus qu'on pourrait le croire... Nous savons des choses ici, des choses qu'on nous demande de taire mais... »

Sa voix mourut lorsqu'elle remarqua le regard agressif de Charles. De quel droit cette infirmière critiquait sa sœur, sa si adorable sœur qui se battait contre la maladie ? Comment osait-elle l'accuser ainsi de torts inconnus ? L'homme serra la mâchoire et sa voix, ferme et insolente, résonna derrière ses dents :

« La porte, s'il vous plait... »

L'infirmière resta un instant sans réagir, les yeux pleins de reproches. Finalement, elle enfonça une clef dans la serrure et la tourna en soupirant. Enfin, elle ouvrit la porte, invitant Charles à entrer dans la pièce d'un vague geste de la main. Celui-ci obéit, jetant un dernier regard accusateur à la femme qui referma aussitôt la porte derrière lui. Charles comprit qu'elle l'avait verrouillée lorsqu'un déclic résonna.

Dans la maison de ma tanteWhere stories live. Discover now