2 Nola

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Je sursaute et rebondis sur mon matelas quand mon portable sonne une seconde fois. À peine trois heures de sommeil... La journée s'annonce difficile.

Je range en vitesse mes cahiers, feuilles volantes et autres livres pour les fourrer dans mon sac de cours puis je quitte mon vieux clic-clac qui, comme tous les jours, va rester grand ouvert au milieu du salon, parce que son grand âge m'oblige à l'économiser, et je file à la salle de bain. Épuisée comme je suis, si je tarde au lit, je me rendormirai à coup sûr. Quelle sale nuit...

Cabinet, lavabo et douche, l'aspect pratique de vivre dans 20 m2 sous les combles, c'est que tout est à portée de main. Je fais couler l'eau chaude bien avant de pénétrer dans la cabine de douche : j'ai maintenant le temps d'aller faire couler mon café, le premier d'une longue série qui me tiendra éveillée pour la matinée chargée de cours qui m'attend.

Sur l'annonce de cet appartement, il y avait écrit « cuisine aménagée », c'est précisément ce qui m'a attirée. Je suis finalement l'heureuse locataire d'un meuble évier bas de gamme qui a vu passer bien trop de fuites d'eau, et d'un placard fixé au mur qui a lâché il y a quelques semaines, emportant avec lui une partie du mur ainsi que ma collection de vaisselle glanée à droite à gauche. Je mange donc depuis dans un magnifique service cartonné. Il faut toujours voir le bon côté des choses : j'ai moins de vaisselle à faire !

Le café coule lentement dans la seule tasse que j'ai pu sauver du drame pendant que des images de ma courte nuit me reviennent à l'esprit. Comment je peux aussi bien me souvenir de mes mauvais rêves ? Tous ces détails sont d'une précision affolante, les sensations sont si bien imitées que je doute parfois d'être endormie.

Je gobe mon café pour chasser tout ça de mon esprit. Nola, reprends-toi ! Le temps file, et tu vas être en retard.

Ma tasse déposée dans l'évier, je saute dans la salle de bain. Et je parle au sens propre : un saut bien calibré, et j'atteins la douche depuis la cuisine.

***

Je dévale les marches du métro en vitesse et je m'insère dans le premier wagon qui se présente. Celui du bout du quai. C'était moins une !

Je repousse difficilement la manche de mon manteau et celle de mon sweat pour regarder l'heure. Je suis dans les temps, comme souvent. Je suis rarement en retard parce que je suis du genre à vouloir tout contrôler. Enfin, une fois que j'ai les yeux ouverts. Pour le reste, je fais ce que je peux.

Je relève le nez et fouille le wagon du regard. Je finis par capter l'attention de mon amie de fac que je suis censée retrouver dans cette partie de la rame les matins où nous avons cours ensemble. Elle est coincée entre un type trop musclé pour sa taille et un couple d'ados qui se roule des pelles en lui mettant des coups de coude. Je manque d'exploser de rire en la voyant tirer une tête de six pieds de long, mais je me retiens. Je suis plutôt du genre discret en général, et encore plus dans le métro.

L'endroit est trop bondé pour que je l'atteigne, alors je lui fais un clin d'œil amusé, et on finit par se retrouver deux stations plus loin, à la descente sur le quai.

— Salut, me dit-elle en essuyant son épaule avec dégoût.

— Hello ! Donation de salive des amoureux ? lui demandé-je en ricanant.

— C'est à vomir ! J'aime pas l'amour.

Ben voyons ! Ella a un cœur en guimauve qui fond pour tous les hommes canons qu'elle croise. Mais ça ne dure jamais, elle se lasse vite. Je dirais plutôt qu'elle n'aime que l'amour des premiers jours.

Je ris, et on avance pour suivre la foule qui part vers les escaliers et quitter la station. La plupart des gens qui descendent ici à cette heure vont à la fac, comme nous. Et ils semblent bien plus réveillés que moi.

— T'as bossé un peu sur tes cours ? me demande Ella tandis qu'on sent l'air frais qui s'engouffre dans les tunnels nous atteindre.

— Ouais, cette nuit ! Mais je n'ai pas avancé plus que ça... Et toi ?

— Rien du tout ! J'ai ronflé comme une baleine.

— J'aimerais pouvoir en dire autant, marmonné-je.

— Encore tes histoires d'insomnie ?

J'acquiesce en bâillant. Mince, je viens de louper une marche !

— C'est quand même dingue de ne pas réussir à dormir comme ça ! Il doit bien y avoir une raison... s'exclame Ella alors que je me redresse discrètement.

Il y en a une. Lui.

— Je ne l'ai pas encore trouvée ! rétorqué-je aussitôt.

Est-ce que ce sourire forcé est de trop ?

Elle pince les lèvres. C'est un sujet qui revient souvent sur le tapis et que j'évite chaque fois. De quoi ai-je peur ? Qu'on me dise que ce n'est pas normal ? Je le sais déjà.

On grimpe les dernières marches l'une derrière l'autre parce que du monde descend en sens inverse. Soudain, Ella s'immobilise, et je manque de lui rentrer dedans. Oh non ! Est-ce qu'elle va en rajouter une couche sur mes insomnies volontaires ?

Quand je relève le nez, en me faisant moi-même bousculer, je vois qu'Ella fixe un point un peu au-dessus d'elle.

— Qu'est-ce que t... commencé-je.

— Regarde, là, m'intime-t-elle.

Je suis la direction de son index qui se dresse soudain vers le ciel. Je cherche deux secondes ce qu'elle désigne et, brusquement, je comprends. Sans résister, je me crispe avec force.

— Ces papillons sont magnifiques... souffle-t-elle.

Trois de ces saloperies effectuent une danse frénétique quelques mètres au-dessus de nos têtes. Ella les observe comme s'ils étaient un don des dieux. Moi, j'essaie de respirer normalement. C'est quoi, ce délire ? Est-ce que je dors encore ? Est-ce que ce satané Marchand de sable va venir me hanter quand je suis éveillée maintenant ?

— Waouh ! T'as vu cette couleur ! C'est pas super rare ? Et puis, en cette saison, c'est bizarre d'en voir, non ?

— Ouais, j'en sais rien. Avance, on gêne le passage !

— C'est la première fois que j'en vois des aussi rouges, ajoute-t-elle en reprenant la montée des marches.

Un instant plus tard, nous sommes sur le trottoir, et le soleil hivernal nous éblouit assez pour qu'on ne voie plus les papillons virevolter. Ils semblent avoir disparu. Tant mieux ! Je lance des coups d'œil un peu partout, mais pas un insecte en vue.

Ella me sourit en fronçant les sourcils.

— Ça va ?

— Oui, oui. Et toi ?

— Je flippe pas des papillons, moi, réplique-t-elle en se marrant.

On peut rien lui cacher à celle-là !

— Je n'ai pas peur... Je... je ne les aime pas trop.

Ok, ils me terrifient !




Et vous peur des papillons rouges ? 

à Jeudi !

Le Marchand De SableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant