4 Nola

28.9K 3.2K 120
                                    

Avant de rejoindre mon premier cours de la matinée, j’emprunte les couloirs qui mènent au tableau d’affichage des résultats des derniers partiels de mythologie nordique.
Après quelques instants de marche, je me retrouve devant le secrétariat de ma filière. Une femme est justement en train d’installer les feuilles que je viens consulter. Bon sang, je suis déjà en stress depuis des jours et je dois encore attendre ! À croire que la vie aime maintenir le suspense. Quoique je suis à peu près certaine de savoir à quoi vont ressembler ces notes…
Le sourire de la secrétaire qui rejoint son bureau me passe sous le nez sans que je le voie vraiment. J’ai enfin vue sur le tableau et, instinctivement, avant même d’avancer, je cherche mon nom. Respire, Nola ! Tu ne devrais pas te mettre dans un état pareil pour ça…
Mes yeux trouvent rapidement ce que je cherche, puis je trace une ligne sur la droite et tombe sur mes résultats. Ou plutôt, ce sont eux qui me tombent dessus. Comme un pot de fleur tombé d’un balcon directement sur ma tête. Je crois que c’est la pire note que j’aie jamais eue. Foutue matière !
Je reprends mon souffle. Toujours voir le bon côté des choses : je vais devoir passer encore plein de nuits blanches à réviser et donc éviter ce satané mec aux papillons.

***

Assise sur un des vieux bancs en bois de l’amphi, je savoure une gorgée de café tiède. Ces trois papillons à la sortie du métro me reviennent soudain en tête, emportant au passage un de mes battements de cœur. Du calme, Nola, ce ne sont que des insectes !
Ella me rejoint en même temps que le professeur fait son entrée tout en bas de la grande salle. Je respire un bon coup et sors mes affaires. Allez, c’est parti pour deux heures à lutter contre le sommeil !
À peine trente minutes plus tard, et alors que j’ai englouti mon café, je commence déjà à bâiller. Ella me lance un regard en biais. Je compte sur elle pour m’empêcher de m’endormir et je sais que je peux lui faire confiance. Elle innove chaque fois un peu plus. Son imagination semble sans limite. Entre les stylos lancés à pleine vitesse et les coups de n’importe quelle partie de son corps contre n’importe quelle partie du mien, je ne compte plus le nombre de fois où elle m’a évité de sombrer.

Lorsque le cours se termine, je me suis pris deux coups de coude dans les côtes et j’ai reçu un stylo sur le front.
Je me lève en m’étirant, et Ella bondit du banc avec une énergie à me faire pâlir. Elle va finir par me filer le tournis !
— Allez, plus vite, Nola, ordonne-t-elle.
J’en suis encore à ramasser mes affaires pour les fourrer dans le sac à dos que je traîne depuis mes années de lycée qu’elle a déjà atteint le bout de la rangée. Je bloque les personnes qui ont eu la mauvaise idée de vouloir sortir par ici.

— Bon, à quoi je ressemble ? me demande Ella quand on passe les doubles portes de l’amphi.
— À rien, comme d’hab, réponds-je, narquoise.
Au lieu de se vexer, mon amie éclate de rire.
— J’adore quand tu es garce. Ta véritable nature est aussi noire que la nuit !
— N’importe quoi… Bon, et toi, tu es toujours sur ce mec ?
— « Sur » ? Non, pas encore !
Je secoue la tête en soupirant. Ella a flashé sur un type qui semble étudier ici aussi. C’est tout ce qu’on sait de lui. Enfin, non, Ella a aussi remarqué qu’il suit le cours auquel nous allons assister maintenant. Une pointe de jalousie me traverse. Ça semble si simple pour elle de s’intéresser à quelqu’un… Moi, je suis bloquée. Même quand je me sens seule et que l’idée d’avoir quelqu’un à mes côtés qui me prendrait simplement dans ses bras quand je suis épuisée me noue trop la gorge, je m’enfonce un peu plus dans mes études et tente d’ignorer mon cœur au profit de ma tête. C’est comme si je ne pouvais me concentrer que sur une chose à la fois…
— Oh ! Nola ! Ici la Terre, scande Ella en claquant des doigts devant mon visage.
— Je te reçois ! Je dois aller aux toilettes avant d’enchaîner, annoncé-je. Je te rejoins.
— Nop, je viens avec toi !

***

On pénètre dans les cabinets les plus proches de notre prochain cours. Ella se jette devant un miroir et entreprend de se refaire le portrait tandis que je m’enferme dans une cabine. Ah ! Je comprends mieux pourquoi elle voulait m’accompagner ! Elle veut être impeccable pour le prochain cours…
Une mouche vient virevolter près de mon oreille, je la chasse en secouant la tête. Je me concentre sur la braguette de mon jean.
— Sérieux, il y a quelqu’un qui a bouffé là et a tout laissé par terre, râle Ella de l’autre côté de la porte.
Je termine rapidement et je ressors, accompagnée du bruit assourdissant de la chasse d’eau.
Mon amie est toujours penchée sur le miroir. Elle me lance un regard sans se retourner, et ses sourcils prennent une forme tout à fait étrange sur son front.
— Quoi ?
— Euh…
Je sens soudain quelque chose bouger derrière moi. Je sursaute et me retourne pour me figer face à un torse imposant et des tatouages qui dépassent du col d’un tee-shirt bien trop moulant pour celui qui le porte. Par tous les dieux, ce n’est pas possible…
— Euh, salut…
Je relève les yeux vers le visage qui surplombe ces pectoraux. Je sens Ella à côté de moi qui se raidit comme un churro balancé dans de l’huile bouillante. Son inconnu est planté là.
— Les chiottes des mecs sont HS, nous précise-t-il, hésitant.
Tout va bien, Nola, tu peux arrêter de paniquer !
Une seconde, j’ai cru être en plein cauchemar.
— Ah oui ? questionne Ella, soudainement très intéressée par les problèmes que peuvent rencontrer les cabinets des hommes.
Je me lave les mains tandis qu’elle engage la conversation.
Ils quittent la pièce avant moi, et je les retrouve en grande discussion plus loin dans le couloir avec un petit groupe de personnes.
Je me dirige vers la salle de cours sans les rejoindre.
— Euh, Nola ? lance mon amie quand je les dépasse.
Sans m’arrêter, je me tourne vers elle. Le petit groupe porte soudain son attention sur moi.
— Qu’est-ce que tu as mis dans tes cheveux ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils.
— Quoi ?
Je suis si mal coiffée ?
— Tu as quelque chose dans les cheveux ! insiste Ella sans s’approcher.
Je m’immobilise et enfonce mes doigts dans l’espèce de choucroute qui me sert de chignon. Certainement une feuille morte…
Je me fige lorsque quelque chose de très léger effleure mon index et mon pouce.
Ella arrive sous mon nez tandis que le sang quitte mon visage.
— C’est quoi ? l’interrogé-je précipitamment en commençant à secouer mon chignon.
— Euh, bah… C’est… Mais arrête donc de bouger !
Trop tard ! Je panique. Qu’est-ce qui est dans mes cheveux ? Pas un papillon, tout de même ?
— Quoi que ce soit, enlève-le de là ! m’exclamé-je.
— Ok ! Mais ça pique pas, c’est rien qu’un papill…
— Ella, enlève-le ! m’écrié-je cette fois.
Paniquée à l’idée qu’une de ces bestioles rouges soit sur moi, je secoue la tête.
— Mais arrête de bouger, tu vas l’écraser ! s’exclame Ella.
— Je m’en fous ! Vire-le, à la fin !
Elle fait je ne sais quoi tandis que mes mains font des gestes paniqués dans tous les sens. Les secondes suivantes durent une éternité, puis, enfin, Ella retire cette horrible bestiole de ma tête en me tirant les cheveux.
J’arrête tout, comme si j’avais besoin d’être immobile pour constater que l’insecte ne me touche plus. Je n’ai pas besoin de chercher loin l’origine de cette toute nouvelle phobie… mais il faut que j’arrête de paniquer, ces papillons ne vont pas m’endormir d’un battement d’ailes !
Ella rapproche ses mains d’elle et les ouvre entre nous.
— Regarde, c’est juste un…
Elle s’immobilise et a la même réaction que moi : un mouvement de recul instinctif. Au creux de ses paumes, pas de papillon rouge, ni aucun autre animal, juste du sable fin qui lui glisse entre les doigts pour disparaître.
— Merde, qu’est-ce qu…
Un frisson me remonte dans le dos, comme dans ces moments où l’on se rend compte qu’une araignée est accrochée au plafond juste au-dessus de notre tête et qu’elle est là depuis un moment.
Ella secoue ses mains.
— T’as vu ça ? Il devait être mort depuis un moment pour finir en poussière quand je l’ai à peine touché.
— Ouais…
Si cette explication lui suffit à justifier ce qu’il vient de se passer, tant mieux. Pour moi, c’est plus compliqué. Parce que, justement, c’est inexplicable.
Mon cœur bat encore la chamade, et je crois que je ne pourrais rien faire de précis avec mes mains dans l’immédiat tant elles tremblent. Mon regard croise ceux des membres du petit groupe qui a assisté à la scène. Ils se retiennent de rire, c’est évident. La honte…

À jeudi 🥰

Le Marchand De SableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant