Chapitre 1

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"Mademoiselle Fried! Si mon cours ne vous intéresse pas vous pouvez sortir dire un mot chez le proviseur!"

Madame Kalhe, tenant sa craie blanche d'une main et l'autre reposant sur sa hanche, se fiche que l'on écoute son cours ou non... Mais dire qu'il est ennuyeux et long c'est comme signer son arrêt de mort.

"Mademoiselle Fried" s'en est alors allée chez le proviseur, soufflant, en oubliant ses affaires et son sac sous son bureau. Je les lui ramènerai chez elle plus tard...

La cloche sonne, je m'empresse de sortir. Je ne reste jamais longtemps en salle, ni au lycée... Si je peux je reste à l'extérieur quand je ne suis pas en cours.

Je sonne et dépose le sac devant la porte. Je ne prends pas la peine de rester, Mme Fried va forcément m'inviter à manger chez elle. Elle cuisine très bien, mais je n'ai jamais aimé me faire inviter. Et puis je ne suis pas présentable...

Malgrés mes 16 ans et mon mètre cinquante-sept, je reste très petite comparé aux géants de ma classe. Ma taille m'a toujours complexé...

Chez moi, il n'y a personne comme d'habitude, un plat couvert d'aluminium est posé sur la table avec un post-it collé dessus: Ne m'attends pas! Je t'aime.

Papa n'est pas là, il ne rentrera probablement pas ce soir.

Ma mère est morte la veille de mes 4 ans. Elle rentrait du travail, une voiture lui a foncé dessus, c'est tout ce que je sais. Le lendemain, à mon réveil, papa n'était pas là.

Imaginez la scène: le jour de son anniversaire, à quatre ans, quand on connaît à peine son alphabet et qu'on se rend compte qu'on est seul chez soit... Mon père n'a même pas prit la peine de venir me chercher, Mme Podca, notre ancienne voisine, m'a déposé chez ma tante le soir, parce qu'un enfant qui pleure toute la journée non-stop c'est fatiguant au début mais ça devient bizarre au bout de 21h...

Mon père a mit longtemps à faire le deuil. Je ne connaissais ni la mort ni ma mère, donc pour moi c'était fait...

On a reprit une vie plutôt normal, papa travaille dur et rentre tard, nous n'avons pas beaucoup d'argent et l'HLM où nous vivons est petit, mais il fait son possible pour m'offrir ce dont j'ai besoin.

Quand j'eus 5 ans, réveillée toute contente car c'était mon anniversaire, je trouvai papa, assis sur le canapé, buvant son café devant la télévision. Il ne m'a pas souhaité un joyeux anniversaire cette année là. Ni l'année suivante. Ou celle d'après... Il ne m'a plus jamais souhaité un joyeux anniversaire. "Anniversaire"... Ce mot n'existe plus chez nous.

Mon portable sonne.
"-Tu pouvais me prévenir pour les affaires! Tu sais comment a réagi ma mère quand elle a comprit que j'ai été renvoyée du cours?"

Clarisse était parti pour un long monologue. Elle est gentille mais quand elle est lancée, on a du mal à l'arrêter.

"-... Non mais en plus la proviseur qui me parle de respect..."

C'est si long que je mets le haut parleur. Tout en lisant, je lui réponds par des onomatopées. Comprenant que je ne m'intéresse pas à sa discutions, elle s'énerve.

"-C'est super d'avoir des potes qui sont là pour vous soutenir. Je t'assure!
-Hum?
-Tu te fiches de moi!
-Qui? Moi! Claire... Non. Tu me connais..."

J'adore la taquiner. Clarisse est le genre de fille prête à tout pour défendre une cause qu'elle soutient. L'an dernier, elle a fait signé une pétition pour faire servir des plats végétariens le jeudi midi à la cafétéria du lycée. Et le pire c'est qu'elle a réussi! 1126 signatures!

Quand je me suis couchée, mon père n'était toujours pas rentré. Je ne l'ai pas vu non plus au réveil, et comme nous sommes samedi, il a passé sa journée à travailler.

Il travaille dans une usine fabricant des boîtes de conserves. Il fait un peu de tout. Ça peut être peser les boîtes, les compter ou encore nettoyer le sol et faire un café au patron. Il gagne bien évidemment très peu. Certain diront que c'est de l'exploitation, moi je dis que c'est mieux que rien.

Mon père croule sur les dettes. Facture d'électricité payé en retard, on utilise des bougies. Facture d'eau, on se douchera chez la voisine dimanche! Loyer non payé, et si on passait un week-end camping!

Les gens qui me voient pensent que je suis normal, ce genres de fille à qui il ne manque rien. Croyait moi, ma vie n'a rien à envier!

Je disais que ma vie était minable, croyait moi, il y a pire!

À onze ans, je me souviens avoir trouvée sur le retour une pièce d'un euro sur la route. J'étais si contente que je me suis empressée d'aller à la boulangerie la plus proche.

Je venais de m'acheter un pain au chocolat, en sortant, je n'avais même pas vu la personne qui dormait à l'entrée de la boutique.

Vêtue de haillons, il n'avait que pour seul lit un carton abîmé et il se couvrait à l'aide d'une chemise écossaise. Mes yeux se levèrent vers sa figure. Son visage était noir couvert de tâches grisâtres. Sa barbe et ses cheveux étaient poussiéreux et emmêlées. D'énormes cernes recouvraient ses yeux, ses lèvres étaient gercées et sa peau sèche et écailleuse tel un crocodile...

Je suis restée planté là, à le fixer pendant une bonne quinzaine de minutes...

J'ai eu honte à se moment là. Je me plaignais enviant les jeunes filles de ma classes qui possédaient les dernières chaussures ou vestes. J'ai eu honte car je me suis dit que ce billet ne m'étais pas destinée. Je lui ai alors laissé mon pain au chocolat, probablement le seul repas qu'il aura la semaine...

La fille des eauxWhere stories live. Discover now