Mardi de la première semaine

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La veille, il avait fait une chaleur de plomb tout le reste de l'après-midi. Nous avions donc tous les cinq profité de la piscine - bien que ça ne m'avait pas plus rapprochée d'Antoine. Il avait été très distant, mais ça ne m'étonnait même plus. Nous ne nous étions pas adressés la parole depuis le repas d'hier midi, ni hier soir, ni ce matin.

Il faisait donc très chaud, comme hier. Les parents avaient voulu que l'on fasse une sortie à Joyeuse, la ville la plus proche de Ribes, là où la maison nous attendait. Joyeuse était une petite ville, rythmée en été par les visites des touristes et les marchés. Il y régnait une bonne ambiance, jour comme nuit.

Je sortis de la voiture, suivie d'Antoine, qui était assis entre ma mère et moi. Nous étions tous les cinq partis dans la même voiture, et pendant les dix minutes de route, Antoine n'avait fait que parler à mes parents. Il répondait à leurs questions du moins. Et moi, j'étais restée silencieuse. Pendant tout le trajet.

Mon père fermait la voiture, Pierre sur ses talons. Antoine aidait ma mère qui ne s'en sortait pas avec son sac et ses lunettes de soleil. Mains dans les poches de mon short en jean, je les regardais tous les quatre, on aurait dit une parfaite petite famille, pas de mort, pas de trois ans de séparation. Une famille comme les autres, et moi au milieu.

Nous nous promenions dans les grandes rues de Joyeuse, qui était l'une des plus grandes ville des environs. Il y avait des magasins pour les touristes, du monde. De la civilisation. J'adorais être à la maison de vacances, à Ribes, c'était calme et reposant. Mais je ne pouvais pas y rester deux semaines, loin de tout. Il me fallait ma bouffée d'air frais de la ville, mélange de fumée de pot d'échappements et de nuages de cigarettes. Il me fallait voir le monde, ces gens pressés pour rien et les touristes qui photographiaient tout et n'importe quoi.

Bien que dans cette ville-ci, il y faisait bon vivre. Il y avait des touristes, du monde, des pots d'échappements, certes, mais elle était tout de même calme, sous le soleil, pas de gens stressés. On se promenait sur la place, où des enfants couraient et les personnes âgées jouaient à la pétanque.

Nous avions l'habitude de nous arrêter dans un bar-restaurant, Le Grain de Malice. C'était un bâtiment aux façades jaunes orangées, rien de bien spectaculaire - mais à l'intérieur s'y trouvait une cour pourvue d'un bassin à tortues, recouvert de plantes en tout genre. Une pause tropicale en plein cœur de l'Ardèche. Nous étions entrés dedans par hasard, une année ; et depuis, dès que l'on voulait boire un verre à Joyeuse, on s'y arrêtait.

On entra alors, et s'installa dans la cour, sous les parasols, près du bassin. J'aimais tellement cet endroit, Antoine aussi. Je jetai un coup d'œil à ce dernier, qui lui faisait de l'œil à une serveuse, une belle métisse aux cheveux bruns et bouclés, qui devait avoir la vingtaine. Ça m'arrachait un sourire, Antoine avait toujours été un coureur de jupons. Je me souvenais de nos nuits passées à discuter de ses conquêtes. Du récit de sa première fois avec une Hollandaise, le dernier été où l'on s'était vus. Ça l'avait rendu dingue, et moi, du haut de mes quatorze-quinze ans, j'avais avalé ses paroles comme une enfant qui écoutait une voix douce lire un conte de fées. J'imaginais qu'aujourd'hui, il ne devait plus en être à ses débuts, de ce côté-là.

Mon père me tira de mes pensées, et me demanda si je pouvais aller demander la carte des glaces - il avait la ferme intention de nous en offrir une en guise de dessert, nous étions allés directement à Joyeuse après mangé. Antoine se porta volontaire à ma place, et se dirigea vers la serveuse, qui lui sourit d'un air charmeur lorsqu'il arriva.

- Ça ne va toujours pas mieux, vous deux, pas vrai ?

J'hésitai avant de répondre à Pierre. Il ne m'agaçait pas, à me poser cette question, mais je préfèrerais qu'il ne dise rien plutôt que de me rappeler à chaque instant que ça n'allait pas. Je lorgnai sur Antoine, il murmurait quelque chose à l'oreille de la serveuse qui gloussait. Puis je tournai enfin la tête vers Pierre, qui me souriait timidement. Mes parents discutaient entre eux.

Les gens changentWhere stories live. Discover now